samedi 5 juillet 2014

Expérience inaugurale

L’anecdote qui va suivre peut sembler tellement insignifiante, qu’elle aurait peut être pu être ignorée, déniée et oubliée. Et pourtant il n’en est rien. Elle est devenue l’évènement déclencheur de mon évolution spirituelle. Serait-ce la singulière expérience inaugurale dont parle Maurice Bellet dans tous ses livres ? Cette époque que je retrace se confond avec mon ignorance totale de l’invisible et du mystère, dans ma pensée dominée par le rationnel.
Cette histoire absolument non spectaculaire, n’est pas celle d’une vision, d’une écoute, d’un miracle. Il n’y a pas d’apparition sainte.  Les mots sont souvent impuissants à la narrer. Je l’ai vécue seule entourée de gens qui n’ont pas perçu mon trouble. Si je tente de la raconter, je pourrais passer pour une affabulatrice. Au moyen-âge, on a brulé des sorcières pour beaucoup moins que cela. Je l’ai à plusieurs reprises évoquée avec tempérance dans mes témoignages antérieurs.
Le contexte est absolument banal. Je suis dans la file d’attente de patients qui attendent la délivrance de leur feuille de circulation dans un grand hôpital parisien. En ce lieu là, ce scénario se répète quotidiennement et à longueur de journée. Précisément pour moi, une fois toutes les trois semaines. Soudainement, je me sens envahie par deux sentiments mêlés dans une impression d’atmosphère irréelle : d’une part l’admiration et d’autre part la compassion. L’objet de ces sentiments porte non seulement sur mes semblables de peine, mais se généralise à toutes les personnes du monde entier, mes contemporains, mais aussi tous ces gens du passé et du futur. Je ne comprends pas pourquoi j’éprouve ces sentiments étranges d’ouverture dans ces circonstances particulières, qui prennent une forme d’attention universelle et atemporelle. Je ressens une admiration de la grandeur de l’humanité toute entière qui fait face à sa difficile condition souvent avec une extrême dignité qui fait honneur à notre nature humaine. Cette admiration n’est pas seulement générique car elle inclut tous les patients, les personnes concrètes dont j’aperçois les visages qui partagent une épreuve similaire à la mienne, le personnel soignant, mais aussi à tous ceux qui n’y ont pas encore été confrontés à cette forme d’épreuve et qui sont à l’instant présent dans l’ignorance de cette éventualité, au delà des murs, dans la vie normale. La véritable compassion que j’éprouve est accompagnée d’une impression discrète et subtile de bienveillance et d’amour. Dans cette expérience étonnante, j’ai perdu mon identité qui s’est fondue dans cette humanité universelle. Je me sens en retrait comme si j’étais un simple témoin observateur de la scène. Puis les choses redeviennent normales avant que j’atteigne le guichet. Cette année là, je revivrai encore deux fois cette étrange expérience sur le même lieu.
Je n’ai jamais oublié cette histoire que je n’ai jamais racontée. Il y a si peu à en dire. Elle demeure comme une question suspendue dans l’attente d’une réponse. J’ai l’impression que cette histoire m’est donnée comme un message qui m’est personnellement adressé et que je ne peux pas laisser sans réponse. Au moment où je l’ai vécue, j’étais incapable de lui donner du sens. Mais à partir de cet instant, elle n’a cessé de me travailler intérieurement.
Je vais découvrir que j’ai vécu une situation qui n’a rien d’exceptionnelle, et que beaucoup d’autres personnes l’ont vécu, c’est-à-dire, une expérience que l’on appelle en psychologie « un état modifié de conscience ». Mais même si une dénomination savante qualifie cette expérience, les mots scientifiques sont impuissants à la traduire fidèlement et à l’expliquer.
À partir de ce moment, je crois que je me suis lancée dans une quête  de cette vérité voilée qui m’invitait à partir à sa recherche. Je n’ai pas fait immédiatement un rapprochement avec les spiritualités et religions. Je manquais totalement de connaissances et d’un environnement culturel adapté. Il m’a fallu de longues années pour digérer toutes mes expériences multiples accumulées, pour tenter d’y mettre un peu d’ordre et de la cohérence et du sens.
À un certain moment, j’ai compris que la notion d’éveil de Bouddha était quelque-chose de cet ordre. Et puis, par la suite, j’ai compris qu’au travers des paroles énigmatiques de Jésus-Christ, il y avait une invitation à ne pas nier la réalité de ces manifestations et à les prendre sérieusement en considération. J’ai fini par faire une analogie de cette expérience avec une lumière qui brille dans la nuit, ou une parole qui est donnée. Je me suis accrochée à ces deux abstractions pour conforter la réalité de mon expérience.
Il m’arrive de me demander encore si j’ai vraiment vécu ce souvenir ou si ce dernier est une illusion ou une autosuggestion. Il est indéniable qu’il s’agit d’un phénomène de la conscience. J ai eu l’intuition qu’il ne fallait pas sous-estimer la portée de cette contingence. J’ai préféré la prendre au sérieux et de ne point la rejeter par cartésianisme excessif ou abusif, faute de compréhension suffisante de la cause et de l’effet.
Depuis cette époque, j’admets plus facilement le mystère.  Sans une telle acceptation, peut être la transformation intérieure n’aurait pu se réaliser ?

Oui, je pense que ce fut là mon expérience inaugurale.

Emylia

14 commentaires:

  1. Bonjour Emylia,

    Merci pour la confiance que vous nous manifestez en nous racontant une expérience (renouvelée ) si belle. C'est un beau cadeau que vous nous faites.
    Vous avez bien fait de la prendre au sérieux. Avant de la commenter -si j'ose! - je vous dirai juste de vous reporter, si vous le voulez au livre de Maurice Zundel "Quel homme et quel Dieu", p.138 et 139. (Je crois savoir que vous l'avez.)
    L'expérience qu'il y raconte et les vôtres semblent se ressembler beaucoup. Vous avez recours, je crois, à la mëme idée, dans des circonstances différentes.. Idée très touchante. Je vous laisse en juger par vous-mëme.
    A bientôt .
    Thérèse;

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  2. Merci Thérèse pour votre remarque et l'analogie que vous avez identifié. Je n'ai pas trouvé le texte p 138 et 139.
    J'ai la 4ème édition de 2008 des editions St Augustin. Pourriez vous m'indiquer le chapitre.
    Je vous remercie et à bientôt.

    Emylia

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  3. Effectivement, Emylia, je n'y avais pas pensé. Mon édition (St Augustin aussi) date de 1997; Il s'agit du chapître 10 : "Jésus ou la ' pauvreté divine' en personne ". Maurice Zundel raconte l'expérience qu'il a faite à Byblos, et qu'il a racontée bien des fois. En lisant votre texte de ce matin, j'ai été frappée par la similitude entre vos réflexions et les siennes.
    Vous verrez si je me trompe.
    Bonne soirée.
    Thérèse.

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  4. Je pensais à ce passage:
    " Nous avons déjà remarqué , je crois, l'ambigüité du terme d'universel qui peut désigner soit l'ensemble des hommes comme dans la dénomination d'union postale universelle, soit une valeur personnelle...

    jusqu'à " ...et unifié par la communication de la liberté absolue qu'il est."

    Il raconte la même expérience et se fait les mêmes réflexions mais pas tout à fait dans les mêmes termes, dans son livre "Je est un autre" éd. Anne Sigier (1997). page 72 et 73 :"J'ai eu un sentiment très vif de cette absence de l'homme à l'homme et au monde au cimetière chalcolithique de Byblos....

    Thérèse

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  5. Bonjour,
    Le rapprochement que j'ai fait entre votre expérience et ce que raconte M. Zundel, Emylia, c'est que vous sentez tout à coup que vous avez perdu le sentiment de votre identité et vous vous sentez fondue dans l'humanité universelle en ressentant amour et bienveillance envers elle; Lui parle, à propos de son expérience de Byblos, du sentiment soudain et très fort du lien personnel et toujours vivant entre toutes les générations comme vous le faites.
    Pardon si je comprends mal ce qui vous est arrivé et a été très très fort. Il m'a semblé en vous lisant hier que le Christ, même si vous n'en avez pas eu la nette conscience sur le coup vous a fait signe...par trois fois. Assez fort quand même pour que vous la considériez comme une expérience inaugurale !

    En tout cas, je me suis replongée grâce à votre billet dans les écrits de Zundel, y compris en puisant à droite de nos échanges en cliquant sur son nom dans les liens préférés.

    Très bon dimanche.
    Thérèse.

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  6. Bonjour Thérèse,

    J'ai bien relu le chapitre 10 du livre de Maurice Zundel. Je vais bientôt le commenter. Je crois qu'il est très important de s'arrêter sur ce sujet ces prochains jours et de comprendre à fond ce chapitre 10.

    Je suis très prise en ce moment, parce que mon fils vient d'être déclaré admissible au bac alors que nous
    avions prévu qu'il ne pourrait prétendre au que bac l'année prochaine.
    Il passe ses oraux demain et il n'est pas exclu qu'il puisse réussir ses oraux. Du coup nous n'avons pas préparé son inscription en enseignement supérieur. Alors c'est un peu le branle bas de combat et la joie contenue qui nous anime.

    Cette situation d'incertitudes et de projet à court terme qui peut être envisagé a tendance à occuper tout mon esprit.
    Quelle sera notre stratégie de demande d'inscription.
    Nous les parents, nous sommes presque plus fébrile que notre enfant qui semble calme et maitre de lui.

    Quelle étrange d'expérience que celle de parent dont l'enfant passe son bac !

    Je vous souhaite un bon week-end.

    Bonne journée.

    Emylia

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  7. Je suis très heureuse pour votre fils et vous. Je pense que le grand calme qui l'habite va bien l'aider pour les oraux.
    Je fais pour lui et vous, ses parents, cette prière tirée de la liturgie :" Donne à chacun une claire vision de ce qu'il doit faire et la force de l'accomplir. "

    Thérèse.

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  8. Mes chers amis,

    Je vous remercie pour vos prières qui ont été entendues. Merci à l'esprit saint. Mon fils a très bien réussi son oral et est devenu bachelier.
    Je vais pourvoir reprendre le cours normal de mes pensées spirituelles.

    Emylia

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  9. Bonjour Emylia,
    J'adresse de Taipei toutes mes félicitations sincère à votre Fils, désormais bachelier. Etape importante dans la vie d'un jeune étudiant. Son travail assidu, sa ténacité mais aussi la présence affectueuse et encourageante de ses parents "on payé". Le Seigneur a aussi veillé sur lui.
    Maintenant, de nouvelles perspectives s'offrent à lui. Je lui souhaite de tout coeur de choisir la voie qui lui conviendra le mieux afin qu'il puisse s'affirmer et s'épanouir dans la profession qu'il aimera. Le choix final lui appartient.
    Bravo, Alexandre (j'espère me souvenir de son prénom).
    Quant à vous Emylia, vous pouvez être fière ainsi que son Père. Par ailleurs, nos enfants ont toujours besoin, durant toute leur vie, et à chacune des étapes qui se suivent, de notre soutien.
    Pour conclure je dirai qu'aimer ses enfants c'est leur ouvrir la porte du meilleur, quels que soient leurs choix.
    Je poursuis la lecture de vos billets, d'aussi loin que je sois.
    Pensée amicale aussi à Thérèse.
    Nainai

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  10. Felicitations sincères (avec un S) vous aurez corrigé ma ou mes fautes d'orthographe. Difficile d'ecrire sur une tablette et surtout de se relire sans chaque fois, recliquer sur "anonyme" et mettre le curseur là où cela est nécessaire.
    bonne journée à tout le monde
    Nainai

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  11. Merci Nainai, je crois que le grand secret de l'amour c'est que nous avons besoin d'aimer et de soutenir nos enfants, c'est même plus que vital. Il est dommage que tout le monde ne le comprenne pas.
    Aussi lorsque dernièrement une dame me disait que j'avais bien de la chance d'avoir deux enfants, je comprenais parfaitement ce qu'elle sous-entendait. Ces enfants sont un cadeau du ciel, même quand ils nous rendent la vie plus difficile. La plus grande grâce, c'est que ce lien demeure au travers des aléas de la vie.

    Très bonne journée à Taiwan (pays de ??? ce n'est ni le pays du soleil levant, ni le pays du matin calme, alors quel est il ce pays ? )

    Emylia

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  12. Bravo ! Félicitations à votre fils;! Tout est bien qui finit bien ! Une autre aventure commence ! Un an de gagné sur les prévisions, ce n'est pas négligeable. De la confiance en soi gagnée aussi, c'est très très bien !.

    Pour le reste, Nainai et vous avez déjà tout dit. Je suis heureuse pour vous, parents. Vous recevez la récompense de vos efforts. Bonjour à vous aussi Nainai. C'est très vrai que les enfants ont besoin de soutien aussi à l'âge adulte car la vie actuelle "secoue" parfois.

    Bonne journée sous vos latitudes respectives.
    Thérèse.

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  13. bonjour Emylia,
    Nous voici rentrés assez tôt de visite, car en raison du typhon qui menace le Japon, nous essuyons des pluies torrentielles et une chaleur tropicale.
    Que vous dire de Taiwan, si ce n'est comme le dit ma Belle Fille "La vraie Chine", la Chine démocratique, libre.
    Grace a Chiang Kai Shek mort en 1975 son fils qui lui succèdera ouvrira la voie des réformes démocratiques.
    Taiwan, anciennement Formose est une île d'environ 23 Millions d'habitants, soit 639,86 habitants au M2.
    Superficie 35 980 Km2. Pays industrialisé, développé dont le niveau de vie est équivalent à celui du Japon et de l'EU. Taiiwan fut longtemps sous protectorat Américain et peut être encore de nos jours. Je ne saurai être précise.
    La spiritualité y est très importante : Boudhisme, Taoisme, Confucianisme, Christianisme et aussi Islam (j'ai remarqué la présence d'une Mosquée à Taipei).
    Je perçois une vie en mouvement, bouillonnante, étonnante très diversifiée. Il y a énormément de jeunesse qui cohabite, avec beaucoup de respect, avec les "anciens".
    Je dirai de Taipei que c'est la ville qui jamais ne s'arrête. Est ce bien ou mal, c'est ainsi. Je ne me permettrai pas de juger, pour n'y être seulement qu'en touriste.
    Hier au soir, nous avons eu un diner familial qui était digne d'une réunion de "nations unies" : Francais, Taiwanais, Chinois, Américains. Un des frêres de notre Belle Fille a épousé une Chinoise, Mon Fils a épousé une Taiwanaise, Nos petits fils sont de nationalite Américaine mais de culture mixte et mon époux et moi même Francais et dans nos veines coule du sang Espagnol et Italien..... Le Seigneur nous a fait cette grâce de nous réunir, et juste au début du repas nous avons eu un instant de reccueillement à la mémoire de la maman de notre belle fille "partie" si vite la vie lui ayant été retirée par un chauffard. Sa présence, par son absence, s'est fortement ressentie.
    Voilà, Emylia, grâce au mauvais temps sur Taipei, j'ai pu un peu vous faire partager mes impressions. Mais vous qui êtes très curieuse (dans le bon sens du terme) vous pouvez en savoir plus sur Wikipédia, si cela vous intéresse.
    OUI Emylia, nos enfants sont des cadeaux du ciel et à nous leurs parents de maintenir des liens forts surtout lorsqu'il quittent le nid familial. Les aimer plus que nous mêmes, surtout ne pas les étouffer et leur ouvrir les portes de notre cage. Ils reviennent toujours vers nous "prendre des forces"
    Désolée, si j'ai largement débordé du sujet. C'est juste une Mère qui parle à une autre Mère.
    Bońnes vacances, si cela vous est possible et prenez soin de vous.
    Merci au Seigneur pour tout ce qu'il m'offre en ce moment et je me prépare déjà au moment de la prochaine séparation, mais LUI seul verra mes larmes et me soutiendra.
    A bientôt et mes amities à Thérèse à qui je pense souvent.
    Nainai

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  14. Bonjour Nainai,

    Je suis frustrée : je suis une grande collectionneuse de proverbes sur les pays. Et les pays asiatiques que je connais ont leur proverbe qui nous en disent long sur la vie des habitants de ces pays là.


    Ainsi le japon se définit comme le pays du soleil levant, la Corée le pays du matin calme.
    Wikipedia n'a pas su me donner le proverbe qui correspond à Taipei.
    Comment se définissent les habitants de cette île ? Peut être que vous avez trouvé le bon proverbe :

    Taipei, l'île qui ne s'arrête jamais ! J'ai bien peur que le monde entier normalise ce style de vie.
    Pourtant la spiritualité demande qu'on s'arrête "de faire", pour "être". Je suis persuadée que toutes ces spiritualisés extrême-orientales prônent l'immobilité, le silence, la méditation, la respiration.

    Merci en tout cas pour ces belles nouvelles cosmopolites et multi-confessionnelles du bout du monde.
    Vous y avez apporté un petit peu de christianisme d'occident dans ce lointain pays d'orient.
    Le recueillement pour les défunts est une attitude universelle qui se partage en famille.

    Je comprend que la séparation inéluctable qui se profile soit très difficile à vivre, car les écrans, les téléphones aussi perfectionnés qu'ils soient ne remplaceront jamais les rencontres directes.

    Profitez encore de votre séjour et de votre rôle de grand-mère auprès de vos petits-enfants.

    Bonne suit.

    Emylia

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