samedi 10 octobre 2015

La rupture biblique décisive

Il est difficile de comprendre et interpréter la bible sans avoir appris et compris la véritable histoire antique du peuple hébraïque.
La dernière fois, je vous ai laissé au VIII siècle, avec une énigmatique division du peuple hébraïque en deux royaumes en concurrence, l’un au Nord richement doté en terres fertiles (culture de l’olive) et donc très prospère appelé le royaume d’Israël et l’autre au Sud, le royaume de Juda, plutôt pauvre avec des terres arides et donc peu versé au commerce avec ses voisins. La grandeur et le prestige du royaume d’Israël contraste avec la misère et peut être l’insignifiance du royaume de Juda (encore en débat parmi les chercheurs). Cette concurrence est évidente dans la bible, car l’anathème est systématiquement jeté sans complaisance sur tous les rois du Nord, accusés d’impiété et d’infidélité pour adopter en plus de leur Dieu Yahvé, les Dieux des peuples avec lesquels ils commercent et donc se mélangent. Globalement les rois du Sud semblent en apparence biblique, plus fidèles au Dieu unique. Il faut comprendre que les textes des livres des rois ont été écrits, après que le royaume d’Israël ait été totalement effacé de la carte par les assyriens au VIII avant JC. Il est vrai que la richesse stimule la convoitise alors que la pauvreté n’intéresse pas. La pauvreté peut protéger des prédateurs, mais pas toujours. Donc au VII siècle, le royaume de Juda reste le seul héritier de l’ancien peuple hébraïque. Les réfugiés qui affluent du Nord vers le royaume de Juda contribuant à l’essor démographique, économique et culturel de ce dernier. La prospérité et le prestige du royaume de Juda ne vont pas durer car ils attisent inévitablement la convoitise de l’Assyrie, puis de la Mésopotamie (Babylone).
Cela conduit inévitablement au désastre du second exil, avec la déportation au VI siècle de l’élite judéenne à Babylone, la destruction de Jérusalem dont le temple de Salomon. Mais ce que nous enseigne ce drame, c’est que paradoxalement ce n’est pas la fin. C’est même peut être le véritable début de l’Histoire biblique. Je veux dire que les exilés vont n’avoir de cesse que l’obsession de se remettre en cause et de leur exil, garder ou de retrouver à tous prix leur identité profonde. Je pense que cette obsession de l’identité de soi (il ne s’agit pas ici d’identité de race ethnique) conduit à la foi véritable. Cette foi, ce besoin de comprendre et de faire mémoire conduit à écrire ou réécrire les anciennes transmissions orales ou écrites dans le but de les transmettre,  pour ne jamais oublier son identité donc son Dieu.
L’exil ne durera pas très longtemps. Les exilés vont avoir cette chance immense de pouvoir retourner à Jérusalem. Le second exode a provoqué un ébranlement et examen de conscience considérable qui a permis la véritable naissance du monothéisme unanimement accepté par les survivants de Juda, le peuple Juif.
Dans le film que j’ai indiqué dans le précédent article, j’ai relevé les arguments essentiels que j’ai traduits ci-dessous :
Quelles sont les motivations pour  essayer de comprendre dans quelles conditions la bible a été rédigée par les hébreux ?  Pourquoi ces textes sont si extraordinaires ? Que veulent-ils nous signifier ? Comment avons nous  pu hériter de ce livre ?

Nous devons fondamentalement connaître les origines de la bible pour être dans la capacité comprendre sa propre représentation de l’Histoire.
Si l’on pouvait savoir d’où vient le livre ? Qui en sont les auteurs ? Pourquoi l’histoire est ainsi racontée ?

Pourquoi vouloir connaître cela à tous prix ?
·       Parce qu’Ils ont inventé l’idée d’un seul Dieu,
·       Parce qu’ils ont inventé l’histoire écrite,
·       Parce qu’ils ont inventé l’idée de la personne individuelle singulière avec des droits et des responsabilités et devoirs moraux.
Ces devoirs moraux sont consignés explicitement dans le Deutéronome. Ils définissent une sagesse morale sans équivalent dans le monde à cette époque.
Ce Deutéronome qui aurait été écrit par le mythique Moise remonte avec une quasi-certitude au règne du pieux roi Josias de Juda qui régnait avant le second exil (le Deutéronome a été redécouvert dans le temple sous son règne, après avoir été oublié pendant des siècles. Josias a imposé les réformes nécessaires pour faire respecter les lois deutéronomiques).
Le deutéronome énonce les droits civiques de l’individu, les droits humains de la personne : protéger les plus faibles, les femmes, les enfants, les veuves, les orphelins, les esclaves.
Ces règles ont induit des changement idéologiques et religieux radicaux qui ont eu un impact social considérable. Elles ont permis l’émergence de la cellule familiale restreinte (un père, une mère et les enfants) telle que nous la connaissons encore aujourd’hui avec le respect du développement de l’individualité de la personne (mais pas celui de l’individualisme égoïste).
Ces concepts novateurs sont les fondements de plus de deux millénaires de notre civilisation occidentale-chrétienne fondée sur le monothéisme.
Une nouvelle conscience révolutionnaire à la fin du 7ème siècle avant JC. Cette conscience reconnaît la dignité humaine à tous les hommes quelque soit leur situation sociale.

Ces propos de savants archéologues ou biblistes sont très forts. Ils n’apparaissent pas aussi clairement dans le très intéressant reportage d’ARTE que j’ai retrouvé mais qui apporte un éclairage très complémentaire. Je vous recommande donc ce second reportage, notamment cette étrange expérience divine du peuple des Shasous (prononcé « chassous ») ayant fui hors d’Égypte, peut être les véritables exilés de Moise, ainsi que l’explication très claire de cette écriture biblique qui a été partagée par la succession de groupes d'une centaine de scribes sur presque 1000 ans. Bonne écoute.


Emylia












vendredi 2 octobre 2015

La bible dévoilée

Tandis que je recherchais des informations archéologiques sur la bible, je suis tombée sur les cours du professeur Israel Finkelstein donnés au collège de France en 2012. Ces cours ont eu un grand retentissement dans le milieu intellectuel. Les cours ont été publiés dans le livre « Le royaume oublié ». Il est vrai que j’ai trouvé ce livre écrit rigoureusement du point de vue de la science archéologique. Je me dois de souligner que j’ai été véritablement captivée par le livre de vulgarisation « La bible dévoilée » co-écrit avec Neil Asher Silberman, un autre archéologue de renom.  Ce bestseller mondial a été publié en livre de poche (folio).

Depuis longtemps, je savais qu’il planait un certain doute sur la véracité de l’exode d’Égypte, la conquête de Canaan.
Il est certainement très profitable de faire un bilan des connaissances archéologiques accumulées sur ce sujet. Les différentes régions du Levant incluant les antiques territoires égyptiens, ceux d’Israël, d’Assyrie et de Mésopotamie. De nous jours les archéologues utilisent des méthodes de datation de plus en plus précises, réalisent des fouilles sur des sites d’importance aussi bien que sur de modestes sites et procèdent à des comparaisons entre les différents sites archéologiques. Ils parviennent ainsi à reconstruire une histoire consistante et cohérente des peuples ayant habités cette région. Cette histoire reconstruite est ensuite comparée aux narrations bibliques.    
Le scénario historique reconstruit apparaît très manifestement incompatible avec l’ancien testament. Ce scénario cohérent nous décrit aux alentours du X siècle avant Jésus Christ, un ancien peuple hébreu aux probables origines de pasteurs nomades du désert de l’est. Ils ressemblent en tout point aux autres peuples cananéens de la région.

Plus précisément au XVème siècle av JC, le pays de Canaan est une province égyptienne, bien contrôlée (bien policée) par des garnisons égyptiennes qui garantissent l’approvisionnement du royaume en divers matériaux absolument nécessaires. La moindre exfiltration d’esclaves fuyant l’Égypte n’aurait en aucun cas pu passer inaperçue. Elle aurait été impitoyablement détruite et cet acte aurait été inévitablement notifié dans les textes égyptiens que la bureaucratie des scribes se serait fait un plaisir de rapporter.

Non, en fait les futurs israélites étaient déjà là, mi-nomades et mi-sédentaires selon les conditions économiques, alternant tour à tour une activité pastorale, installés sur les hauteurs de plateaux à l’est, soit retournant à une vie nomade dans le désert.
Nulle trace d’Abraham, de Moise, de Josué. Le souvenir réel ou mythique de ces illustres ancêtres est transmis de génération en génération par la tradition orale. L’écriture n’existant pas à Canaan à cette époque, il n’y a pas de vérification historique possible.

En contrebas des plateaux de l’est, la plaine est beaucoup plus accueillante pour les autres populations cananéennes. Sous la férule des égyptiens, il ne peut y avoir de conflits militaires entre des peuples modestes et pauvres. Mais un jour vers le XIII, les peuples de la mer déferlent et mettent à mal la domination égyptienne  en brulant toutes les places fortes dans le pays de Canaan. Les terribles peuples de la mer s’installent dans la région la plus hospitalière au bord de la mer méditerranée et deviennent les Philistins.

Le retrait des égyptiens pendant quelques siècles favorise l’essor des peuples cananéens, particulièrement les peuples des hauteurs de l’est qui vont devenir les hébreux. Les tribus les plus au Nord s’installent dans des régions très propices aux cultures. Elles s’enrichissent assez rapidement grâce à la culture de l’olive et aux échanges commerciaux avec les peuples des plaines de l’ouest. Ainsi sera fondé le royaume d’Israël.  Les tribus installées plus au sud héritent d’une terre très ingrate aux cultures. Le développement du peuple du sud est figé car ce dernier vit en quasi-autarcie, refermé sur lui-même sans avoir les moyens de pratiquer les échanges économiques avec ses voisins. Le peuple du Sud va fonder le royaume de Juda (le royaume de Jérusalem). Si l’existence du personnage du roi David est tout à fait plausible, le royaume de Juda ne peut en aucun cas avoir eu la notoriété décrite dans la bible. Les archéologues ne trouvent nulle trace de royaume prospère de David ou de Salomon (IX siècle). Le royaume de Juda est politiquement et démographiquement insignifiant. Jérusalem n’est qu’un petit village.

Au contraire, au VIIle siècle, le royaume d’Israël au Nord atteint un prestige économique, culturel et politique considérable grâce au stimulant commerce de l’olive.
L’histoire des hommes peut basculer en très peu de temps en dépit des pronostiques. Le succès de du royaume du Nord attire la convoitise du royaume assyrien qui l’anéanti totalement et définitivement à la fin du VIII siècle.

Les récits de la Bible vont émerger de cette catastrophe humaine, grâce à l’essor du royaume de Juda impulsé par l’anéantissement d’Israël.

Mais la suite de cette passionnante histoire, je vais la raconter dans mon prochain article.

En attendant, je ne peux m’empêcher de conseiller l’écoute de cet excellent reportage (en anglais malheureusement sur les travaux du professeur Israël Finkelstein) associé au livre « La bible dévoilée ». Il n’existe malheureusement pas de traduction en français (aucun média français n’a jugé opportun de traduire ce très bon reportage).




Bonne écoute si vous le pouvez.
À bientôt.

Emylia