jeudi 1 mai 2014

Fête du travail

Le jour du 1er mai m’est tombé dessus sans que j’aie pris le temps de le voir venir. Je n’avais donc pas prévu de rédiger un texte particulier à cette occasion. Mais le message de Christiane Rance sur ce thème ayant pour titre « des saints et du muguet » m’a fait réagir. Aussi je reporte mon commentaire sur mon blog :

Chère Christiane
J’aime bien la symétrie-miroir que vous essayez de montrer entre la fête du travail et la fête de la Toussaint.
Je partage votre vision de ce que devrait être le travail qui mène à la sainteté, la vocation que Dieu a donné à l’homme pour qu’il poursuive son œuvre de création, de prendre soin de notre monde de la terre et des humains. Sous l’angle de cette mission divine, le travail ne devrait s’envisager que sous une pratique d’échange, de partage et de  coopération.
Dans les Évangiles, le travail est une activité noble. Le fruit du travail de l’homme produit ces substances sacrées et symboliques eucharistiques que sont le pain et le vin qui maintiennent ce lien vital essentiel entre l’homme et Dieu.
Dans le livre de l'Ecclésiaste, la vision biblique et idyllique sur le travail est de savoir prendre un plaisir simple et mesuré au quotidien, Eccl(2,10) :

« Tout ce que mes yeux avaient désiré, je ne les en ai point privés; je n'ai refusé à mon cœur aucune joie; car mon cœur prenait plaisir à tout mon travail, et c'est la part qui m'en est revenue. »

Il ne faudrait pas exiger plus que ce simple plaisir du travail bien fait. Ce que nous avons produit nous échappe. Nous devons le céder tôt ou tard à autrui Eccl (2,11) :

« Puis, j'ai considéré tous les ouvrages que mes mains avaient faits, et la peine que j'avais prise à les exécuter; et voici, tout est vanité et poursuite du vent, et il n'y a aucun avantage à tirer de ce qu'on fait sous le soleil. »

On ne travaille pas seulement pour soi. Notre œuvre nous dépasse, et nous devons la laisser à autrui qui éventuellement la détruira  sans la moindre considération ni regret  Eccl(2,17) : 

« Et j'ai haï la vie, car ce qui se fait sous le soleil m'a déplu, car tout est vanité et poursuite du vent.
J'ai haï tout le travail que j'ai fait sous le soleil, et dont je dois laisser la jouissance à l'homme qui me succédera.
Et j'ai haï la vie, car ce qui se fait sous le soleil m'a déplu, car tout est vanité et poursuite du vent.
J'ai haï tout le travail que j'ai fait sous le soleil, et dont je dois laisser la jouissance à l'homme qui me succédera.
Et qui sait s'il sera sage ou insensé? Cependant il sera maître de tout mon travail, de tout le fruit de ma sagesse sous le soleil. C'est encore là une vanité.
Et j'en suis venu à livrer mon cœur au désespoir, à cause de tout le travail que j'ai fait sous le soleil.
Car tel homme a travaillé avec sagesse et science et avec succès, et il laisse le produit de son travail à un homme qui ne s'en est point occupé. C'est encore là une vanité et un grand mal. »

Finalement on pourrait se demander si l’homme au travail ne serait pas condamné à l’usure de sa peine et de ses jours, et parfois jusqu’à l’absurdité, sans en retirer un bénéfice personnel et de devoir laisser le témoin à l’ingratitude des générations futures Eccl(2,22) :

Que revient-il, en effet, à l'homme de tout son travail et de la préoccupation de son cœur, objet de ses fatigues sous le soleil?
Tous ses jours ne sont que douleur, et son partage n'est que chagrin; même la nuit son cœur ne repose pas. C'est encore là une vanité.

Dans le monde de l’antiquité, le travail est méprisé, réservé à la caste des inférieurs, les esclaves et le peuple, tandis que les classes supérieures aristocratiques s’octroient  les activités nobles : la politique et les distraction. Le moyen-âge n’aura pas une meilleure considération pour ses travailleurs libres mais crève-la-faim que sont les paysans.
C’est pourtant au cours du moyen-âge que le travail retrouve sa dignité.
Le travail vu sous la lunette chrétienne nous donne au VIème siècle la règle de Saint Benoit qui lutte contre l’oisiveté des moines entre les offices en recommandant le travail manuel. C’est grâce au travail inlassable des moines, que la France a été débroussaillée, que le paysage des villages s’est constitué autour d’un maillage dense de monastères et d’église. Grâce au travail, à la patience et l’abnégation des moines, la France est devenue le pays du vin et du fromage grâce à la préservation des secrets de fabrication monastique durant des siècles.

Le travail sera pour tous sera instauré aux lendemains de la révolution de 1789, avec les excès qui s’en suivront aux heures les plus noires du capitalisme du XIX siècle (travail des enfants, travail permanent sans jour de repos).
Pour éviter le retour à des jours sombres et rampants de l’esclavage, un code juridique du travail a été élaboré au travers de luttes mémorables pour le progrès humain.

Parmi les acquis essentiels, rappelons nous qu’au moins un jour de repos hebdomadaire permet à l’homme de se retrouver hors de son travail. Le jour du repos hebdomadaire offre à l’homme le temps indispensable pour reconstituer ses liens d’humanité essentiel avec sa famille, ses amis, avec lui-même donc Dieu. Les 35 heures de travail hebdomadaire et les congés payés sont d’autres acquis tout aussi importants.

Aujourd’hui la fête du travail est amère. Le travail n’a plus ce visage de la libération de l’homme et du progrès de l’humanité. Le travail est profané. Il est devenu un immense marché dans lequel les personnes sont quottées comme à la bourse. Un marché pour lequel il faut payer un droit d’accès en s’acquittant des frais d’étude en achetant des diplômes. Le marché qui accepte ou rejette les individus comme de vulgaires marchandises.
Comment réagirait le Christ, lui qui a renversé les tables des marchants du temple.

La société se fragmente et se morcelle entre les « heureux élus » au travail et les cohortes de chômeurs absorbées par une pauvreté galopante. Une course effrénée à l’effondrement des effectifs des travailleurs est engagée comme si le travail avait déclaré la guerre à l’homme.
Le travailleur est cette variable d’ajustement, une ressource arbitraire dans un budget dont on se débarrasse pour optimiser les profits.
Le travail à faire est reporté sur les plus conformistes, les plus résistants aux coups de balais, qui sont de moins en moins nombreux, avec toujours plus de travail.
Le travail est devenu le lieu non pas de la coopération, mais le cœur de la compétitivité débridée qui conduit à l’isolement puis l’anéantissement de l’être humain. Le temps de travail n’a plus le moindre sens. Avec les nouvelles technologies, le travail lui même s’incruste inexorablement de manière envahissante dans la vie privée sans que le travailleur puisse s’y opposer.
La méfiance et la défiance entre les personnes se généralisent. La bureaucratie omniprésente, version moderne  des chaines coercitives du travail, demande en permanence aux travailleurs des comptes sur les preuves de leur efficacité et de leur rentabilité. La tricherie, l’illusion publicitaire individuelle (égo démesuré) sont favorisées au détriment de l’honnêteté du travail bien fait.

Le travailleur-chômeur contemporain n’aurait-il pas pris le visage du martyr chrétien ? Celui qui encaisse les coups, qui accepte les humiliations, la relégation, la culpabilité d’être un être humain ayant besoin de survivre dans un monde qui se vide de son humanité.

Pardonnez-moi aujourd’hui pour cette amertume pour un jour de fête du 1er Mai. Si seulement le Christ pouvait nous redonner une chiquenaude dans la bonne direction évangélique de l’espérance !

Emylia


6 commentaires:

  1. Bonjour,
    J'ai bien lu vos deux textes sur vos blogs respectifs. Si l'analyse que vous faites toutes les deux semble assez exacte si j'en juge par ce que je lis et ce que j'entends par les jeunes qui m'entourent, n'est ce pas justement aux chrétiens de croire et de dire, pour reprendre un titre de Jean-Claude Guillebaud: qu' "Une autre vie est possible" éd. L'Iconoclaste" ?
    L'Espérance aussi,( avec la foi et la charité ) est une vertu théologale (donc à demander à Dieu), à cultiver et à semer autour de soi..

    Cela peut sembler naïf de ma part d'affirmer que la vie telle qu'elle se déroule en ce moment dans le monde du travail n'est pas une fatalité, moi qui suis à la retraite depuis longtemps. Mais l'espérance ne se vit pas quand tout va bien. A ce moment là, nous n'en avons pas besoin. Elle s'entretient quand les raisons d'espérer semblent s'éloigner. Le temps pascal est tout indiqué pour cela.
    Personnellement, j'essaye de l'insuffler à l' une de mes filles qui souffre très directement de ce que vous dénoncez à juste titre. Cela m'oblige à espérer autant que je peux car il me semble que c'est de cette façon que je peux la soutenir.

    Notre époque, est aussi, quoiqu'il paraisse, une époque de partage. Nous ne partageons pas assez le travail chez nous, c'est certain. J'aspire comme tout le monde au moment où le chômage sera en net recul et les travailleurs moins écrasés par des journées éreintantes. Cependant, si on peut parler de pays émergents, c'est bien parce que des hommes et des femmes ont enfin accès à un emploi , eux aussi, ailleurs que chez nous. Proportionnellement au nombre d'habitants de cette planète, on peut dire que la faim recule dans le monde. Pas assez vite bien sûr !
    Ce sont des lueurs d'espoir...il me semble.
    Thérèse.

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  2. Bonjour Thérèse,

    Vous avez raison, je devrais retravailler sur l'espérance. Après avoir écrit ce texte, je me suis replongée hier dans la lecture d'un livre de Guy coq "Paroles pour le Christ, Paroles pour l'église" que je n'avais jamais lu.
    Je l'avais exactement laissé à une page traitant sur l'Espérance.
    Je sens que je vais y revenir.

    Ma propre situation au travail n'a pas d'importance dans la mesure ou je suis capable de discernement et de prendre le recul qui convient pour me préserver. De plus je n'ai pas à craindre grand chose en étant fonctionnaire. Cependant Il est moins évident de maintenir une parole d'espérance pour encourager la jeunesse, mais il faut se référer en permanence à l'espérance chrétienne et surtout se garder de toute mélancolie anesthésiante ( en référence à l'écoute d'un potcast de C. Bobin sur France Culture ce matin).

    Il me semble que notre cécité actuelle est d'être en relation emphatique avec le monde entier en oubliant nos prochains que nous croisons régulièrement. Se réjouir que que de plus en plus de personnes dans le monde accèdent à un niveau de vie décent ne pourra jamais compenser que de nombreuses personnes de notre voisinage basculent dans la précarité ou vivent dans la peur du déclassement pour eux ou leurs enfants.

    La première espérance pour eux, serait que nous sachions les voir, leur sourire, leur tendre la main.

    Il faudrait éteindre cette maudite télé, se méfier des moyens modernes de l'information qui nous détourne du réel
    qui est à notre porte. Je parle pour moi bien entendu. La première prière à faire est de demander des yeux pour voir et nous ouvrir le cœur. La seconde prière serait pour demander à l'esprit de nous faire agir de façon appropriée dans la mesure de nos moyens.

    Je vous souhaite une bonne journée.

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  3. Bonjour,

    Grâce à vos textes je me suis remise à relire le livre de J. C. Guillebaud. :" Une autre vie est possible."

    Je ne me souvenais pas que le 1er chapître était si virulent...contre les propos qu'il jugeait trop pessimistes. Peut-être l'est il un peu moins maintenant sur les mêmes sujets?. Il écrivait ce livre en 2012 et en deux ans, la situation ne s'est pas améliorée. La fascination qu'exerce l'argent dans le monde s'est peut-être accrue encore ainsi que la différence de qualité de vie entre les très riches et les très pauvres.

    Ce qui fait du bien dans son livre, ce sont les raisons d'espérer qu'il y donne et les raisons de ne pas se résigner.
    Que ceux qui le liront peut-être, et n'en peuvent plus, ne se sentent pas montrés du doigt. Qu'ils y trouvent matière à espérer encore. C'est ce que j'espère et c'était le but de J. C. Guillebaud en l'écrivant.
    Je ne suis pas sûre d'avoir réussi à exprimer ce que je voulais. J'ai un peu de mal à être claire.

    En ce mois de mai, mois de Marie, je pense à ces paroles du Magnificat:
    "Il renverse les puissants de leurs trônes,
    il élève les humbles..." et suivantes.
    Elles m'ont toujours paru très audacieuses de la part de Marie qu'on a si souvent présentée comme soumise et presque passive et résignée. Elle est pour le relèvement des personnes, leur dignité. Elle rend grâce d'avoir elle-même été élevée, toute humble qu'elle était.

    Bonne journée à tous.
    Thérèse.

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  4. Espérance
    « Il me fallait d’abord revenir à une définition simple mais vraie de l’espérance, allégée de significations sources de malentendus (les abrupts de la foi comme les termes mort, résurrection, Verbe crucifié, le mal). Je vois en elle une attitude fondamentale et première : « Au commencement, l’espérance ». Car l’élan premier vers la vie –celui qui anime l’enfant est déjà espérance, mais celle-ci s’ignore. Elle est vécue spontanément. J’aurais aimé raconter cette espérance de l’enfant. Elle ne dure pas.
    L’espérance qui mobilise mon attention est seconde.
    En toute vie, il y a la traversée plus ou moins longue de la région du désespoir. Alors l’espérance est une décision contre le désespoir. Là encore, elle est commencement, comme renaissance à l’élan vers la vie plutôt que la résignation à la mort. []
    Ramenée à l’essentiel, l’espérance n’a rien de compliqué. Elle est la décision d’affirmer l’avenir, c’est-à-dire de penser que le présent ne durera pas toujours. Il y aura un après, un temps nouveau, avec d’autres possibles, un temps qui n’est pas fait d’avance, non voué à la fatalité. »

    « Paroles pour le Christ, paroles pour l’église »
    Guy Coq

    Ce texte montre bien deux formes distinctes d’espérance indispensables pour vivre vraiment. Même si parfois cette espérance peut s’éclipser temporairement, il ne faudrait pas la perdre de vue. Il est fondamental de comprendre qu’à l’âge adulte, l’espérance est une décision et non un don qui nous tombe dessus comme une grâce. Elle demande une volonté et un choix résolu pour l’optimisme (lucide et non naïf) :
    Comme vous dites Thérèse :
    « Mais l'espérance ne se vit pas quand tout va bien. A ce moment là, nous n'en avons pas besoin. Elle s'entretient quand les raisons d'espérer semblent s'éloigner ».

    Emylia

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  5. Bonsoir Thérèse,

    J'ai retrouvé mon livre de JC Guillebaud "Une autre vie est possible". J'ai lu le premier chapitre qui nous donne une véritable leçon d'espérance avec la capacité des peuples lointains confrontés collectivement à des situations dramatiques de guerre à reconstruire inlassablement ce qui est détruit.

    Certes, c'est peut être plus facile dans les pays à faible ou moyen développement car ils savent reconstruire leur logement de leur mains. C'est toujours en cas de situations désespérées que se créent spontanément les solidarités qui engendrent l'espérance.

    Mais j'ai toujours été fascinée par ces américains habitant de la vallée des tornades aux Etats-Unis et qui se relève et reconstruisent malgré la destruction totale de leur logement. Je ne suis pas sure que les assurances couvrent tous les débats. Les populations doivent être certainement beaucoup plus solidaires que ne le laissent envisager l'égoïsme apparent du système économique des affaires.

    Je retiens une phrase particulière de ce chapitre :"l'homme devient vraiment libre lorsqu'il décide d'espérer".
    C'est une très belle invitation à l'espérance.

    Bonne soirée.

    Emylia

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  6. Merci Emylia^ pour ces lignes.
    Oui, je crois que la foi, l'espérance et la charité sont des dons de Dieu mais il y a aussi la réponse de l'homme à ces dons qui est la décision de croire, d'aimer et d'espérer. Il y faut notre consentement. Nous disons un OUI engageant un jour, puis des" oui" successifs, au gré des journées et des évènements, qui sont des prolongements et qui traduisent une fidélité à ce OUI initial et nous permettent de tenir quand l'élan est moins sensible ou même a l'air d'avoir disparu.
    Bonne soirée .
    Thérèse.

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