samedi 7 mars 2015

Le théologien, l’exégète et l’historien

Les saintes écritures sont destinées à être lues. Encore faudrait-il apprendre à les lire, à les interpréter, à comprendre les symboles, identifier les différents styles. En s’aventurant seul, on prend le risque de passer à côté d’aspects essentiels, notamment dans l’ancien testament (car je pense que le nouveau testament est plus facile d’accès). Différents professionnels peuvent nous y aider.
Si l’historien et l’exégète oublient notre époque pour se plonger culturellement à l’époque des faits ou des écrits pour les comprendre, le théologien, lui dans un mouvement inverse nous ramène toutes les pensées religieuses anciennes  à notre époque, pour que nous puissions les appréhender au travers de notre foi et s’en nourrir.
Naïvement, je pensais qu’un théologien développait des théories sur Dieu qui n’étaient pas destinées à être portées à la connaissance du commun des hommes et femmes.
Avec Joseph Moingt, je comprends mieux ce que devrait être la théologie :
« Le théologien est un homme du logos, du discours conceptuel, en tant qu’il parle des choses qui viennent à l’idée, sans émerger du visible, d’un discours qui le situe dans une certaine tradition culturelle et qu’il poursuit et entretient avec ses contemporains, avec tous ceux qui se préoccupent de la foi et de celle de l’esprit, pour éclairer les problèmes du temps présent et nourrir la foi des chrétiens d’aujourd’hui. Il n’est pas un spécialiste des archives du christianisme, ni même des textes sacrés, qu’il n’a pas charge d’expliquer dans le contexte de leur rédaction, mais d’interpréter pour les lecteurs ou auditeurs de notre temps. Aussi ne doit-il pas se laisser absorber par des questions d’histoire ou d’exégèse, de les prendre pourtant très au sérieux et de s’en informer suffisamment pour être capable d’en parler dans un langage vrai, mais retourner très vite l’intérêt de ces questions vers le présent de la foi et le croyant de notre temps.» Juste avant, il explique « le théologien est qualifié pour expliquer en quel sens Jésus s’est fait connaître et a été cru en tant que révélateur de Dieu et sauveur des hommes, de quelle façon et pour quel motif, mais à condition que le fait soit solidement établi et que le croyant puisse en répondre en toute véracité ».
Avant de revenir une prochaine fois sur Jésus, je vais mentionner encore un exemple difficile de la bible. Il s’agit de Josué qui fait entrer les hébreux en terre promise, après l’exode et les quarante ans d’errements dans le désert du Sinaï. La bible nous dit que Josué triomphe de la ville de Jéricho, en faisant le tour de cette ville, en procession, en faisant sonner des trompettes. Les murs de la ville s'écroulent. Tous les habitants, hommes, femmes, enfants sont tous passés  sans exception par le fil de l’épée, sacrifiés à la gloire du Seigneur.
De nos jours tourmentés et violents, cette épopée biblique nous semble ignominieusement génocidaire. Mettre tous ces meurtres sur le compte de Dieu nous sont insupportables et d’une bien triste actualité. Les historiens nous disent que les hébreux n’ont pas pu prendre la ville puisque cette dernière avait été détruite bien avant cette époque. Ouf donc ! Pierre-Marie Beaude nous explique que derrière cette épopée fictive un peu trop présomptueuse, il faut y voir la puissance du symbole liturgique de cette narration. Il ne s’agit ni plus ni moins de célébrer les processions à des fins seulement de liturgie religieuse. Il est bien difficile de comprendre comment on peut rendre gloire à Dieu en faisant sur soi même un récit militaire glorieux (qui n’a pas lieu d’être). Il y a un mélange des genres, des analogies maladroites qui nous sont chrétiennement incompréhensibles.

Cet exemple illustre bien qu’il ne faut pas accorder trop d’importance à des problèmes de nature historique. La question essentielle porte bien sur l’identification des allégories fictives et de leur interprétation symbolique. Je crois que cette exemple nous permettra de prendre quelques libertés vis-à-vis de l’histoire lorsque nous parlerons bientôt de la passion, de la mort et résurrection de Jésus Christ. Je ne suis pas obnubilée par la vérité historique. Je suis convaincue que la parfaite connaissance de vérité historique complète, qu’elle soit religieuse ou laïque, n'est jamais accessible. Nous n’aurons toujours que des vérités partielles. L'histoire tisse en permanence dans son présent, la narration de son propre roman.

Emylia

8 commentaires:

  1. Bonjour Emylia,

    Votre texte soulève des problèmes importants et assez difficiles.

    Dans la citation que vous donnez de J. Moingt , très intéressante, il ne dit pas que le théologien peut prendre quelques libertés vis à vis de l'histoire, mais au contraire, qu'il doit s'informer des problèmes qu'elle pose , les prendre très au sérieux et s'en informer suffisamment pour être capable d'en parler dans un langage vrai.
    Le but de son travail est simplement ailleurs. Il est au service de la f o i de ses contemporains et il utilise les découvertes historiques comme il utilise l'exégèse comme des outils pour approcher au plus près de la vérité.

    Je ne sais pas quelle distinction on peut faire entre " la vérité historique religieuse et la vérité laïque" Pour moi, il n'y a qu'une seule vérité historique. On l'approche de plus ou moins près mais le véritable historien fait un travail scientifique, le plus objectif possible. Quand il fait son travail de recherche, sa tâche est de dire en toute honnêteté ce qu'il a découvert sur les faits qu'il relate et le fait qu'il soit croyant ou non ne doit pas avoir d'influence sur son interprétation des faits. C'est l'idéal vers lequel il doit tendre en tout cas. Et je pense que les historiens sérieux, chrétiens ou adeptes d'autres religions sont d'accord avec cela.

    Le but premier des Evangiles, comme d'ailleurs celui de l'AT; n'est pas de donner une vérité rigoureuse de la vérité historique , mais de témoigner,. Le but des Ecritures n'est pas de donner à connaitre une vérité scientifique mais de transmette u message.. C'est pourquoi les quatre Evangiles se contredisent parfois. Leur message ne ment pas mais il reste subjectif. Il concorde pourtant à propos de l'essentiel parce que les evangélistes transmettent avant tout une vérité qu'ils ont dans le cœur et cette vérité est la même pour les quatre. Ils relatent les mêmes grands événements et les ont compris de la même façon avec l'aide du Esprit..

    La Vérité complète n'est sans doute pas accessible durant notre vie humaine et je dirai" heureusement"sans doute". Il n'y aurait plus besoin de la foi. Il n'y aurait plus de recherche de l'invisible. C'est pourquoi le symbolique est à chercher dans les textes .
    Que cherchons nous en cherchant la vérité. N'est ce pas, au fond, à approcher Dieu lui-même? Nous ne pouvons le définir, le posséder. La Vérité "complète" est une Personne.

    De ce fait même, je crois qu'approcher la vérité que ce soit en physique, en astrophysique, en histoire, en biologie etc.. est non seulement utile mais à respecter. Elle nous éclaire réellement. Ce sont des reflets, des tentatives plus ou moins réussies et toujours perfectibles, de l'œuvre de Dieu ou de sa trace parmi nous.

    Qu'en pensez vous?
    Bon après-midi.
    Thérèse.


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  2. Bonsoir Thérèse,
    Je vous remercie pour votre commentaire éclairé.
    Je suis d’accord qu’il soit impossible pour une personne humaine d’accéder à une vérité absolue. La vérité qui nous est accessible nous est toujours partielle, provisoire et temporaire. Il en est aussi de même pour la vérité historique. C’est ce que je réalise de plus en plus quand on comprend que l’histoire que nous connaissons, celle qui est enseigné à l’école, celle qui est rapportée dans les livres et dans les journaux, n’est autre qu’un récit fondateur, raconté pour que nous puissions construire notre présent intelligible (fonder une nation cohérente). Ce n’est pas une question de malhonnêteté, mais de limitation de nos capacités à maitriser le temps car l’histoire future et passé nous échappera toujours. (Et heureusement nous ne pourrons jamais figer l’avenir dans nos plans ou nos lois).
    Par exemple, la France du temps de Clovis n’existait pas en tant que telle, pas plus que nos ancêtres n’étaient les Gaulois. Rappelez vous des épopées de l’ancien testament destinées à créer une identité juive. Il est de même illusoire de vouloir nous retrouver une identité qui plongerait ses racines dans un lointain passé. Notre identité, nous nous la créons au présent en permanence en relisant notre passé, en le réajustant. Je pense que ce processus est en partie inconscient, toujours en raison de nos limites humaines. Mais il nous permet de résister, de tenir le coup face aux épreuves que nous avons surmontées et qui par accumulation auraient dû nous abattre.
    Pour ces raisons, les incohérences historiques de la bible ne me posent pas de problème. Le théologien en aucun cas ne falsifie l’histoire au profit d’un dogme. Il interprète l’histoire qui lui est donnée à son époque comme une parole à accueillir, et à travailler avec la foi du cœur. Cette perception de la foi du cœur n’est jamais figée dans le marbre contrairement à un dogme.
    Figurez vous que j’ai posé une question à Maurice Bellet dimanche dernier sur ce sujet : Il se réclamait de la seule vérité fiable que sont les évangiles (je ne sais pas comment il considère les épitres). Je lui ai posé la question de la source Q qui ne dit pas tout à fait la même chose que les Évangiles qui ont été écrits plus tard. En particulier la source Q ne parle pas du procès de Jésus, ni de la crucifixion, encore moins de la résurrection. Les textes des Évangiles officiels, relatifs au procès, à la crucifixion et de la résurrection ont donc été rajoutés plusieurs décades après ces événements. Il m’a semblé comprendre que ce détail ne posait aucun problème à Maurice Bellet qui se rapporte plus volontiers aux évangiles qu’aux recherches historico-exégétiques. Mais j’ai beaucoup mieux compris en lisant Joseph Moingt. Après la mort de Jésus, c’est la foi inspirée des disciples qui créent le récit des Évangiles, à partir de leur souvenirs fuyants, de ses paroles consignées de mémoire aussi dans un recueil aujourd’hui perdu. En particulier, la résurrection serait plus une certitude de la foi qu’une preuve historiquement avérée. Je pense que cette vision de la résurrection comme événement ressenti dans la foi a attiré l’animosité de certains sur Joseph Moingt. Mais je trouverais paradoxal qu’on se dispense de la foi pour traiter de la résurrection comme d’une vérité historique plus ou moins bien établie (plutôt moins que plus). Connaissant la fragilité des vérités historiques, n’est-il pas préférable que la résurrection demeure l’objet de la seule foi chrétienne ?

    Emylia

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  3. Bonjour Emylia,

    Je pourrais (peut-être ?) disserter longtemps sur ce qu'on entend par vérité historique et philosopher sur ce qu'est la vérité ou la Vérité avec un grand V.
    La physique, la chimie, et d'autres sciences, comme vous le savez mieux que moi, sont dites des sciences dures, donc exactes, même si les théories établies sont remises en question de temps à autre par de nouvelles façons de voir.
    L'histoire fait partie des sciences humaines et donc plus sujette à caution. L' objet de celles-ci, étant l'humain, est aléatoire, car un phénomène humain n'est pas prévisible selon des lois quasi immuables des sciences dures. Il "joue" avec la liberté, les affects, les humeurs etc...

    Maurice Bellet quand il parle de la seule vérité fiable, il parle de la vérité selon la foi. C'est , en effet, sur les évangiles que les chrétiens appuient leur foi pour croire en la Résurrection.

    Ne mélangeons pas tout.

    La résurrection, même si je la tiens pour vraie, et si je base le sens de ma vie sur cette affirmation, n'est aucunement du ressort de la recherche historique. Elle ne pourra jamais être traitée comme une vérité historique, j'en suis tout à fait convaincue. Ce n'est pas manquer de respect envers l'histoire que de le dire.
    L'histoire peut juste dire et elle le fait, et c'est déjà précieux, ce qu'ont dit les premiers témoins, comment ils ont répandu la nouvelle de la mort et de la résurrection de ce Jésus qui avait été mis en croix. C'est ce qu'a fait Flavius Josèphe, l'historien juif du 1er siècle et d'autres historiens après lui.

    Il est donc tout à fait vain, en effet, d'attendre qu'une vérité historique vienne confirmer ce que nous croyons mais qui est de l'ordre extraordinaire, hors des phénomènes humains habituels que la science sait traiter avec ses méthodes.

    On m'attend . Je suis obligée d'en rester là pour le moment.
    Thérèse.

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  4. Comme je trouve de plus en plus difficile de vous répondre à propos d'un livre que je n'ai pas lu, je me suis décidée à le commander cet après-midi.
    J'espère que ça facilitera notre dialogue.

    Bonne soirée.
    Thérèse.


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  5. Bonjour Thérèse,

    C'est une très bonne idée. Je pourrais revenir sur des phrases ou passages qui m'ont particulièrement frappée ou qui me font réfléchir. Je ne suis pas si pressée d'arriver au bout car il y a tellement de choses sur lesquelles on peut méditer. Au début la question qui est posée porte sur l'émergence du monothéisme au cœur du polythéisme, toujours avec un regard de foi et pas seulement d'historien ou d'exégète.

    Bonne journée.

    Emylia

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  6. Bonjour Emylia et les amis lecteurs,

    Quand j'écrivais l'autre jour que Maurice Bellet parlait de vérité de foi en qualifiant les Evangiles de seule vérité fiable, je ne voulais pas du tout relativiser la fiabilité du Nouveau Testament. J'espère qu'on m'aura comprise mais je vais préciser pour être plus claire.

    Sur quoi se base le chrétien pour tenir pour certaine la Résurrection du Christ et en faire le fondement de sa Foi, puisque, St Paul nous le dit, sans cela notre foi est vaine ?
    Il s'appuie d'abord sur ce qui nous a été transmis depuis les récits des premiers chrétiens, oralement puis par écrit. Ces récits nous sont parvenus jusqu'à nos jours et nous leur faisons confiance.
    Cette confiance n'est-elle pas un peu folle?
    Elle est plus solide, pour lui, qu'une théorie philosophique grecque par exemple, car elle est d'une autre nature.
    Le chrétien fait l'expérience en son for intérieur qu'une vérité l'habite et que cette vérité est en cohérence avec les dires des evangiles. Il se sent instruit au dedans de lui par Quelqu'Un qui vit en lui et se révèle, discrètement mais fidèlement.

    Pas le temps de me relire !
    A bientôt.
    Thérèse.

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  7. Bonjour Thérèse,

    Oui c'est ce que je voulais dire quand vous évoquiez d'une part les vérités scientifiques et d'autre part les vérités de la foi. Les premières sont à l'extérieur de nous. Et elles sont toujours partielle, provisoires, et approximatives.
    Ce ne sont jamais des vérités absolues. Ca n'existe pas en science. Elles sont relatives. Elles permettent de trouver des applications utiles.

    Les autres vérités sont intérieures donc personnelles, du ressort de la foi mais aussi de la raison.
    Oui une foi sans raison est une folie.
    Je vais encore citer Maurice Bellet dans un petit livre que j'ai trouvé de lui : Le lieu du combat.

    "La foi ne naît pas de la crédulité, qui est son pire ennemi. Son élément véritable est le scepticisme." (p 39)
    Le scepticisme, autrement dit foi critique, donc foi combinée à la raison.

    Je ne sais pas qui a parlé pour la première foi de foi et de raison. St Thomas d'Aquin ?
    (Il parait qu'il est le premier à avoir voulu réconcilier foi et philosophie!)


    Emylia

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  8. Bonjour Emylia,

    J'adhère tout à fait à ce que vous écriviez hier.
    A propos de St Thomas d'Aquin, je crois savoir ce qu'il en est de son rôle de précurseur pour la réconciliation entre foi et philosophie, mais je vais vérifier avant de vous livrer mes "connaissances", assez réduites, sur le sujet.
    Bonne journée.
    Thérèse.

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Emylia