samedi 31 janvier 2015

Le sens corporel et le sens spirituel de l’ancien testament

Cette semaine, je savais que je ne pourrais pas trouver suffisamment de temps pour poursuivre ma lecture du livre de Joseph Moingt qui demande beaucoup de temps et de concentration pour bien suivre la profonde logique de l’argumentation de l’auteur.
Aussi j’ai poursuivi avec une grande satisfaction ma lecture du livre de Pierre-Marie Beaude dans la « Bible de Lucile »), qui commente avec une habile finesse, les différents textes de la Bible, les plus pertinents comme les plus étranges et embarrassants.
Revenons au chapitre de l’Exode. Reconnaissons la grande sagesse spirituelle des « dix commandements » de l’Exode 20, la Parole du Seigneur ! Mais que faire de toutes les prescriptions supplémentaires et rites multiples qui contraignent de façon excessive le mode de vie des Hébreux. Il y en a tellement qu’il y a de quoi perdre de vue le sens moral et spirituel de l’essentiel. Et ces prescriptions sont développées encore plus extensivement dans le Lévitique, le parfait manuel utilisateur pour procéder aux sacrifices d’animaux, ou le dictionnaire des définitions des normes alimentaires et hygiéniques…
Mais qui suis-je, femme du XX et XXI siècle pour prétendre appréhender la culture religieuse de l’époque antique où ont été écrits ces textes bibliques.  À mon époque contemporaine, je suis nourrie de textes de logique et de raison critique écrits dans des livres appelés « essais ». L’ancien testament lui a été écrit principalement du VIII siècle au VII avant JC puis complété du VI-II siècles dans un environnement culturel grec. Les hommes de l’antiquité vivent dans une autre culture où règne un autre mode de pensée, celui de l’allégorie. L’allégorie favorise une transition astucieuse entre la mythologie et la philosophie, c’est –à-dire entre un schéma narratif d’une histoire brute  à une élévation de l’esprit ou de l’âme au dessus des nécessités matérielles. Le philosophe Platon est l’un des grands maitres de cette interprétation du sens philosophique et spirituel des mythes.  Probablement Socrate avait compris avant Platon, le véritable sens spirituel de la religion au delà des rites officiels de la cité (Socrate a précisément été condamné et exécuté pour cette raison).
L’interprétation allégorique s’applique aussi à ces textes de la bible. Le philosophe juif Philon d’Alexandrie (contemporain de Jésus-Christ) réalise la synthèse de l’esprit spirituel de l’ancien testament avec la philosophie grecque. Les textes de l’ancien ne doivent pas être lus uniquement selon la lettre, mais aussi selon un second second sens, celui de l’esprit.
Il faut prendre l’évolution de la compréhension des textes de l’ancien testament par analogie avec le développement de la maturité d’un être humain. Un homme jeune est par nature très tourné vers les choses pesantes du corps. Mais l’âge, il murit. Son esprit devrait alors s’éveiller et son âme s’élever en s’affranchissant des pesanteurs du corps. Et donc ces textes prescriptifs de la bible devraient être interprétés allégoriquement comme un travail intérieur que réalise l’homme pour la purification de son âme et son offrande à Dieu :
« Pour un philosophe helléniste comme Philon, l’homme est composé d’un corps et d’une âme. De même, un texte sacré est composé d’un sens corporel et d’un sens de l’âme, qu’on appelle un sens spirituel ou allégorique. Le sens corporel est celui que l’on retire immédiatement de la lecture de la lettre ; le sens spirituel ou allégorique est celui que l’on retire en étant attentif à ce qui est caché dans le corps, à savoir l’esprit ou l’âme.»
Quand on comprend à quel point la culture grecque a été capable de comprendre la profondeur philosophique de l’ancien testament, il devient évident que le Christianisme ne pouvait que s’épanouir sur le terreau de cette culture.
La culture grecque a permis la rédaction des évangiles. Les textes des évangiles sont imprégnés d’allégories exprimées sous la forme des paraboles du Christ.

La culture judéo-chrétienne est indissociable de la culture gréco-romaine !

Emylia

8 commentaires:

  1. Bonjour Emylia,

    Je suis désolée. Je me sens totalement incompétente pour commenter votre billet. Il fait appel à des notions que je n'ai absolument pas... très abstraites !

    Je vous souhaite un bon week-end.
    Thérèse.

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  2. Bonjour chère Thérèse,

    Je ne crois pas une seconde que ces notions vous soient étrangères.
    Qu'une lecture à la lettre d'un texte sacré puisse être comparée à la nature corporelle pesante tandis qu'une lecture au second degré d'un texte soit associé à la nature spirituelle est une évidence dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprise.

    C'est le fondement même de la religion chrétienne qui remonte au début de notre ère et que nous poursuivons tous les dimanches à la messe, lorsque le prêtre parle lors de son homélie. Il dégage des lettres des écritures le sens spirituel du texte pour élever notre âme.

    Je reconnais que Philon d'Alexandrie n'est pas très connu. Par contre les commentaires d'Origène sont très connus.

    Je vais donner quelques explications d'Origène dans mon commentaire suivant.

    À bientôt.

    Emylia

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  3. L’homme se compose de trois niveau : le corps, l’âme et l’esprit. De même, la bible doit être lue à trois niveaux :
    - 1. Le niveau du corps du texte : c’est l’histoire telle que le texte la raconte, le passage de la mer Rouge par exemple, ou l’épisode du veau d’or. Ce niveau de lecture est le plus facile, c’est celui par lequel il faut commencer.
    - 2. Le niveau de l’âme, le niveau moral. Il est destiné à ceux qui ont déjà une bonne pratique de la bible.
    - 3. Le niveau de l’esprit, ou spirituel. Il conduit le lecteur beaucoup plus loin que les deux premiers.
    C’est ainsi qu’Origène lisait l’Écriture.
    (Extrait de La bible de Lucile, J.M. Beaude).

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  4. Bonsoir Emylia,

    En effet, quand j'ai lu votre texte et la citation de Philon d'Alexandrie, j'étais encore sous l'impression très forte d'un commentaire de la bibliste Marie Noëlle Thabut et d'un prêtre commentant la résurrection et l'importance du corps, plutôt magnifié dans cette perspective de salut. Je n'avais donc pas tendance à le voir pesant.
    De plus, tous deux montraient comment le corps et l'âme sont solidaires et constituent un tout. Ils disaient , par exemple que lorsque le corps est malade l'âme souffre aussi, et inversement. C'est souvent le cas en effet, à mon avis.
    Du coup, je n'avais pas compris le lien fait entre la lecture littérale de la Bible et le corps pesant. A tort peut-être puisque justement quand le corps est pesant (à cause de la souffrance ou à cause d'autres raisons), il ne laisse pas l'âme s'élever pour une lecture assez spirituelle, c'est vrai.

    Depuis quelques années, je remarque avec joie que les commentaires de passages d'Evangile se font souvent beaucoup plus spirituels ou symboliques ( ou allégoriques ) que par le passé. C'est du moins mon expérience de lectrice et auditrice.

    Je me souviens d'une homélie entendue dans une paroisse où j'étais nouvellement arrivée. Le prêtre disait: "Quand vous lisez un passage d'Evangile , imaginez que vous êtes tour à tour chacun des personnages de la scène et identifiez vous à chacun tour à tour, même aux personnages négatifs. Il vous éclairera ainsi sur ce que l'Evangile vous demande " J'avoue que je n'y pense pas toujours, mais ce conseil m'avait paru très nouveau et ouvrant de riches perspectives . Il me semblait que le texte disait beaucoup plus que je n'avais l'habitude d'entendre. Depuis, je remarque des mots qui se mettent à "parler". La regrettée France Quéré
    disait que dans la Bible (en tout cas dans le N.Testament) chaque mot est important.

    Merci d'avoir apporté ces précisions. Ai-je bien compris ?Bonne nuit.
    Thérèse

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  5. Bonjour Emylia,

    J'ai fait une erreur hier soir. J'ai attribué la citation introduite dans votre texte à Philon d'Alexandrie alors qu'elle est de J. M. Beaude parlant de Philon.
    De plus, en y regardant de plus près, je constate qu'on parle du corps du texte en le comparant au corps humain et de l'âme du texte en la comparant à l'âme humaine. Ca ne change rien à mes réflexions d'hier soir car je pense qu'il ne faut pas trop distinguer le corps humain qui exprime la vie de l'âme et , tout en gardant de lire la Bible à la lettre, il ne faut pas trop séparer le corps du texte ( le contexte etc...) du message spirituel contenu dans le récit. L'Evangile ne peut "flotter" au dessus de toute contingence. C'est le message du Verbe incarné. Il a pris chair.
    Tout ça est une question de nuances sans doute. Je crois, autant que mes connaissances me permettent de m'aventurer sur ce terrain, que la culture grecque séparait assez nettement l'âme et le corps.
    Amitiés;
    Thérèse

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  6. Une petite correction: lire "Tout en SE gardant de lire la Bible à la lettre....Th.

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  7. Bonsoir Thérèse,

    Je voulais prendre un peu de temps pour vous répondre. J'ai écouté une emission très intéressante sur France Culture d'Alain Finkielkraut , "Réplique" au sujet de l'interprétation du Coran (Samedi 31 janvier à 9H00).

    Cette emission me conduit à penser qu'il faut faire très attention à l'interprétation littérale des textes sacrés. Une interprétation personnelle pas suffisamment encadrée peut conduire au pire de la perversité religieuse.
    Du coup se pose la question de l'encadrement des religions. Notre état laic ne peut pas le faire puisqu'il y a séparation état-églises.
    Il me semble que le christianisme dispose de suffisamment d'autorités d'encadrement pour que personne ne puisse à sa guise interpréter la bible selon sa convenance et propres intérêts.

    Et il faut dire que la liturgie ne prend pas n'importe quel texte de la bible pour les lectures. Il existe de nombreux textes qui ne seront jamais lus dans une église. Je ne crois pas non plus que tous les prêtres puissent répondre sur tous les textes des deux testaments.

    Donc il faut être prudent quand on dit qu'il faut tout garder, et que même les textes très délicats du point de vue interprétation à la lettre (en raison de possibles dérives criminelles).

    Enfin je tenais à souligner que ce sujet est vraiment d'actualité, plus que jamais.

    Bonne soirée.

    Emylia

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  8. Bonjour Emylia,

    Vous avez mille fois raison , je pense, de vous méfier des lectures à la lettre des textes fondateurs. On peut ainsi leur faire dire n'importe quoi et parfois exactement le contraire de ce qu'ils veulent nous enseigner.
    Quand j'écrivais l'autre jour que France Quéré , une théologienne protestante, disait que dans l'Evangile chaque mot est important, elle voulait dire que chaque mot est potentiellement important, chaque mot peut"parler". Ex:" Marie Madeleine se retourna." on décrit un de ces mouvements, ce que Philon appellerait le corps du texte sans doute, mais on peut faire "parler" le texte davantage et y voir le retournement de M. Madeleine, son mouvement de conversion ,( en terme savant, sa métanoîa) et donc l'esprit du texte.

    Je vous approuve aussi quand vous écrivez qu'en lisant la Bible seul on risque de mal l'interpréter. c'est pourquoi L'Eglise nous encourage à la lire en groupe. Ce serait pourtant dommage de ne pas la lire seul durant nos moments de prière. Le Pape François insiste souvent pour que nous le fassions. Alors ?

    Le Saint Esprit nous éclaire. nous pouvons le lui demander avant le début de notre lecture.
    Permettez moi de donner un exemple pour expliquer comment je vois cela personnellement.
    Lundi, on célébrait dans l'Eglise la présentation de Jésus au Temple. Dans son Evangile ,( St Luc II,22,40) Luc nous dit que le vieillard Syméon reçut l'enfant dans ses bras et "il bénit Dieu". Un jour, en communiant , j'avais ce petit bout de texte en tête et j'ai ressenti une joie en me disant: "En ce moment, je reçois Jésus dans mes mains comme Syméon avait reçu Jésus dans ses bras et je peux bénir Dieu comme lui. Le même immense honneur m'est fait, c'est exactement la même chose. Ce geste de Syméon nous concerne tous, nous qui recevons le Christ. Cela se passe encore aujourd'hui, maintenant". Le texte est devenu très vivant.
    Peu de temps après, j'entends une homélie à la radio qui commente ce texte de St Luc et le prêtre dit :" quand vous recevez le Christ dans vos mains en communiant vous faites comme Syméon...etc..;"
    Là, j'ai su que ce n'était pas ma subjectivité qui me soufflait cette interprétation , mais que c'était bien l'Esprit qui m'avait aidée à comprendre la portée de ce passage d'Evangile.

    Quand ce genre de confirmation m'arrive par ce que j'entends ou ce que je lis, je me sens dans le vrai. Je le sens comme un encouragement. Autrement dit, Je crois que l'Esprit passe par les autres pour nous aider dans "l'intelligence des Ecritures". J'ai dit comment ça se passe pour moi, mais je suis persuadée que l'Esprit s'adapte à chacun et que sa façon de faire peut varier d'une personne à l'autre.

    A bientôt.
    Thérèse.

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