mercredi 3 septembre 2014

Après l’échec social des états laïcs, la doctrine sociale de l’église

Sur ce blog qui porte sur le thème de la foi vécue et expérimentée je dirais dans sa chair, il est souvent mal vu que j’expose des connaissances, comme si ces dernières étaient incompatibles avec la Foi. Pourtant je ne peux imaginer de passer sous silence ma lecture compulsive du mois d’août qui n’a rien à voir avec la religion mais qui il me semble m’interpelle fortement en tant que citoyenne mais aussi en tant que chrétienne. Pourquoi, parce qu’étant chrétienne, je me dois aussi d’être le témoin de notre temps, témoin pour bien comprendre le Monde dans lequel je vis, pour agir et pour prier en connaissance de cause. Bien sûr je sais bien que je ne vais pas transformer le monde, mais j’ai au moins la possibilité d’agir sur moi-même, donc sur le Monde par ricochet.
Un livre, le « Capital au XXI siècle », de Thomas Piketty, un jeune chercheur en science sociales, est paru en 2014. Ce livre est devenu un bestseller et l’auteur se voit attribuer de nombreux prix et obtient une renommée mondiale (tant dans les milieux informés que le grand public). Je ne vais pas vous assommer avec un résumé technique, mais je vais vous exprimer ma réaction chrétienne à cette lecture.
Pourquoi ce livre a un grand retentissement ? Parce que pour la première fois, une étude de grande ampleur, sur la richesse des nations et des personnes, les revenus des uns et des autres et la nature des injustices sociales est publiée pour tous, avec des comparaisons détaillées entre les différents pays dits riches et aussi avec une comparaison historique sur trois siècles. D’habitude, les économistes et hommes politiques aiment à se quereller sur des théories économiques sans mesurer la réalité de leurs impacts réels sur les hommes et la société. Mais cette fois-ci le réel est enfin révélé et toute personne de bonne foi ne peut nier l’évidence de ce vers quoi tend notre économie mondialisée.
Ce livre démontre avec des faits numériques que le moteur des accumulations des biens génère inexorablement et systématiquement des injustices sociales et donc de la pauvreté massive. On comprend ainsi que nos sociétés ont toujours fabriqué de la pauvreté et des fortes inégalités en masse que seules les terribles guerres mondiales mortifères ont pu interrompre un temps cette fatalité et redistribuer temporairement un peu d’égalité. Mais à quel prix de la vie humaines ces équités partielles et temporaires ont été obtenues ?
Quotidiennement, nous avons sous les yeux les résultats des progrès techniques considérables par rapport aux sociétés du XVIII et XIXème siècle. Aujourd’hui, les capitaux accumulés atteignent partout des sommes astronomiques, le plus souvent détenues par un petit nombre de personnes privées. On retrouve partout des niveaux d’injustice sociale dignes de la fin du XIX ème siècle et début de la 1ère guerre mondiale.
L’indigence des états semble avoir été parfaitement orchestrée. Le déficit public des états semble bien dérisoire en regard de ces montagnes de capitaux accumulés et détenus par un petit nombre de personnes privées. Pourtant on continue de menacer une large majorité de la population d’austérité et de rigueur, en la privant de toute espérance et d’avenir. C’est la crise permanente et organisée de la laïcité qui n’a plus de modèle de civilisation à proposer.
Comment alors pouvoir concevoir que la misère et l’injustice sociale existent à l’heure actuelle dans nos pays riches, comme elle existait du temps de Victor Hugo lorsqu’il a écrit « les misérables », avec la même intensité, malgré les progrès techniques, culturels et soi-disant moraux. Ce constat est une honte pour notre civilisation démocratique qui se prétend avancée, respectueuse des droits de l’homme. Se complaire dans l’aveuglement devant les fortes injustices sociales manifestes, c’est nier la réalité, éviter la prise de conscience. C'est une totale irresponsabilité. A fortiori une telle attitude me paraît incompatible avec la foi chrétienne. Mais que faire ?
La situation est claire. La démocratie promettait « un Royaume laïc » ou règnerait progressivement l’égalité et la fraternité entre les personnes. Aucun royaume laïc de ce genre n’est advenu. Certes les sciences et techniques ont progressé. Mais la progression de la morale est douteuse. Qu’on se le dise : au terme de trois siècles après celui des lumières, les promesses humanistes n’ont jamais été tenues. Avec toute notre science, il nous semble impossible de contrer cette évolution inexorable des injustices qui se nourrit de nos égoïsmes individuels. Avec une civilisation mondialisée forte de 7 milliards de personnes, il est évident qu’il faut trouver un autre paradigme économique sous la menace d’une conflagration généralisée très meurtrière qui pourrait nous faire reculer de plusieurs siècles en arrière, avec  bien des vies sacrifiées pour rien (quelle serait l'ordre de grandeur de cette horreur, des milliards de vies).
On peut se demander si du temps de Jésus, sous la domination de l’empire romain autoritaire de nature aristocratique, les inégalités et les injustices n’étaient pas de la même ampleur ou même probablement moindre qu’aujourd’hui. Jésus n’a jamais préconisé la révolte des pauvres, mais la conversion du cœur des riches.
Dans « Les actes des apôtres », une tentative de mise en commun des biens est décrite, mais elle ne semble pas avoir connu de lendemains.
Pourtant l’église a su faire fonctionner les monastères pendant des siècles, selon le principe du partage des biens comme du travail, avec un fonctionnement souvent autarcique, avec la satisfaction des besoins élémentaires des moines et  sans recherche de profits.
À la fin du XIX ème siècle, le pape Léon XIII s’insurge contre les conditions de travail et de vie imposées aux ouvriers dans son texte remarquable «  Encyclique rerum novarum »,  fondant ainsi les bases de la doctrine sociale de l’église.

A ce jour, l’église n’a point été écoutée par le concert des nations. Plus que jamais, l’église à la responsabilité ultime d’en appeler à la conscience de tous les hommes pour sauver la civilisation mondiale de l’autodestruction inconsciente. Elle doit affirmer ouvertement sa doctrine sociale avec force et à tous, gouvernés et gouvernants, sans ménagement des susceptibilités idéologiques aveugles des uns ou des autres. Il me semble que notre pape François ne mâche pas ses mots sur ce sujet dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium (On peut lire le livre très intéressant de Frédéric Lenoir, « François le printemps de l’évangile » dans lequel des extraits très percutants de « Evangelii Gaudium » sont sélectionnés). Il  ne me semblerait pas incongru que l’église de France intervienne plus souvent et directement dans les débats publics sur les choix de société, notamment en exposant de façon audible ses positions exprimées dans sa doctrine sociale^*. Il ne me semblerait pas non plus inconvenant que certains hommes ou femmes politiques se saisissent de ces textes pour étoffer leur propre programme d’action. Il n’y a pas de honte à ce que le monde laïc s’inspire de la morale chrétienne exprimée dans la doctrine sociale de l’église.

Emylia


^* Il me semble bien plus primordial de s'indigner des refus des droits élémentaires économiques et sociaux des gens que de se quereller sur des questions de moeurs qui ne sont même pas prescrits dans les Evangiles.

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