samedi 30 août 2014

Dire ou se taire

Nous sommes un petit groupe de personnes. Nous ne nous connaissions pas antérieurement. Notre seul point commun est que nous nous intéressons aux écrits de Maurice Bellet. Nous nous rencontrons de temps en temps pour réaliser un cheminement personnel en commun. Selon de vagues suggestions de pistes de réflexion, sans indications précises de direction, nous sommes invités à échanger des paroles sur des points qui nous paraissent essentiels pour chacun. La liberté de parole, le respect et le non jugement sont les clés de ces entretiens. En aucun cas il ne s’agit de parler de sa propre vie privée qui n’a pas à être dévoilée. Il s’agit plutôt de découvrir au cours de l’expression sa propre parole, son intériorité que l’on a rarement l’occasion d’exhumer, surtout à ses proches, peut être quelques rares fois, à ses meilleurs amis et encore dans des circonstances exceptionnelles. Nous découvrons alors, qu’en dépit des différences de parcours de notre vie, il réside en nous ce fond commun d’humanité qui se révèle à l’exposition de notre propre expérience intérieure de vie. Chacun porte en lui ses profondes blessures, ses peurs  mais aussi ses joies. Sans avoir à préciser leur origine ou leur nature, il est possible d’évoquer les prises de conscience et les évolutions spirituelles auxquelles elles nous ont menées.
Chaque séance augmentait progressivement en intensité et en profondeur. La dernière fois que je me suis exprimée, j’ai évoqué le cas de mon propre cancer qui avait été pour moi l’occasion de ma prise de conscience de l’amour reçu, que cet amour reçu m’avais permis de tenir, de vivre une croissance post-traumatique et d’expérimenter une conversion spirituelle. De nos tristes jours, il est impossible de réunir un petit groupe d’adultes dans que quelques-uns aient déjà eu affaire au cancer. Dans notre cas, une autre personne avait vécu une expérience similaire à la mienne, et Monique, notre modératrice était en train de vivre ce cauchemar. Nos paroles avaient été tellement sincères et profondes, qu’au terme de notre rencontre, Monique nous avait remerciées pour nos témoignages.
Contre toute attente, nous venons d’apprendre deux mois après notre dernière rencontre, que Monique vient d’être emportée brutalement par cette impitoyable maladie qui s’était sournoisement diffusée dans son organisme. Je pense à mes dernières paroles et je m’interroge sur leur poids dans les derniers jours de détresse vécus par Monique à notre insu. Fallait-il témoigner de sa propre vérité ? En quoi exprimer sa vérité peut aider autrui à vivre ses moments les plus difficiles ? N’aurait-il pas été préférable de se taire ? De maintenir nos échanges à un niveau superficiel et convenu ? N’y a t’il pas une prétention vaniteuse ou une pure inconscience coupable à exposer la vérité subjective de sa propre histoire ?
Mais si je n’avais rien dit, n’aurais-je pas eu une attitude lâche ou égoïste, en ne partageant pas ce que j’avais véritablement reçu ? N’aurais-je pas regretté ultérieurement mon silence avare ?

Je mesure l’immense responsabilité que chacun porte de dire ou de garder pour soi, sa propre vérité. Intuitivement il me semble pourtant qu’il valait mieux le dire. Sur le moment, ces témoignages avaient apporté beaucoup à Monique. Peut-être que dans mon passé je regrette de ne pas avoir tenu un langage de vérité et sincérité à l’occasion de moments essentiels et uniques. J’en étais incapable. Il a fallu que quelque chose change en moi pour que j’arrive à m’exprimer.

Emylia

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