samedi 15 novembre 2014

Passé et avenir

Je vous fais partager mes commentaires aux sujet du paragraphe suivant que m'ont soumis les amis de Maurice Bellet. En effet nous avons l'occasion de nous rencontrer de temps en temps pour échanger sur un thème proposé.


Passé et avenir
"Sans discours fondateur, pas de vie humaine" Jean-Claude Guillebaud
"Il ne suffit pas que l'homme soit né, il lui faut un chemin d'humanité" Maurice Bellet

1) De quoi sommes-nous héritiers ? Qu'est-ce qui demeure agissant, vivant en  moi dans mon propre passé, dans notre histoire collective ?
2) Qu'est-ce qui ne doit pas se perdre mais devrait demeurer ? Qu'est-ce que je souhaite dépasser ? Surmonter ? Changer ? Comment ? Par quelles voies ?
3) Qu'est-ce que je souhaite transmettre ? Quelle trace je voudrais laisser ? Quel est le monde que nous souhaiterions ? Quels changements souhaitons-nous ? Qu'est-ce que je fais pour que cela  change ?
Que chacun prenne les questions qui le rejoignent, dans le déroulement qui lui convient. Rien n'est imposé....
Bonne route !
L'animateur de la discussion...

Je ne suis pas parvenue rapidement à commenter ce sujet. Cela vient probablement des deux citations qui évoque l’homme en général. Celle de Jean-Claude Guillebaud affirme la nécessité du passé qui s’exprime sous a forme d’un discours fondateur. La phrase de Maurice Bellet évoque l’ouverture d’un chemin d’humanité qui va vers l’avenir. Donc dans le sujet de ce jour, il me semble qu’il faille établir un lien ou un pont entre le passé de l’humanité où je n’étais pas et un futur ou je ne serai pas. Mais paradoxalement ce passé où je n’étais pas et ce futur que je ne verrai pas m’aident à tracer mon propre chemin. Sans eux, il n’y a aucun fil conducteur, aucune boussole et ma vie serait absurde. C’est étonnant de réaliser que ma vie dépende aussi étroitement de ce que l’humanité a été ou ce qu’elle sera en mon absence. 
Mon premier héritage est d’abord le milieu familial qui m’a accueillie à ma naissance. Chaque jour, je prends davantage conscience de la chance que j’ai eue. J’ai pu avoir une enfance heureuse qui m’a aidée à tracer ma voie d’adulte sans trop de difficultés. Mais pour m’en rendre compte, il m’a fallu être sensibilisée au malheur qui frappe injustement autour de soi. Il ne faut pas non plus croire que le malheur domine toujours. Le bonheur simple et concret est présent et possible et à portée de main pour qui est suffisamment attentif aux multiples opportunités de la vie.
Après la famille, l’école et les études et les différentes formes d’éducations et formations m’ont beaucoup apporté. C’est la connaissance donc la culture au sens large qui me relie à l’humanité du passé, sans laquelle je ne serais jamais devenue la personne que je suis. Acquérir des compétences est fondamental pour s’insérer dans la société et y tenir un rôle, même mineur. C’est pourquoi le chômage est un véritable drame social, un déni d’humanité.
Et puis au delà du milieu familial, au delà des compétences, il y a cette capacité à nouer des relations humaines, non théoriques, non superficielles, mais réelles et profondes, lors de multiples occasions. Ce sont ces relations qui ouvrent un large chemin à notre humanité pour nous conduire vers notre avenir. Ces relations s’appuient sur un langage et des paroles qui ne doivent pas tourner dans le vide. Il faut se prévenir de tout langage trop normatif qui se fige en langue de bois. Les paroles de vie se donnent sous la forme d’une écoute attentionnée et d’une réponse de l’ordre du don.
Une expérience émouvante et probablement indispensable est de faire soi-même l’expérience d’ouvrir ce chemin d’humanité à autrui. Je pense d’abord à mes propres enfants. Mais il est également possible de faire ce don à d’autres personnes. C’est un peu comme si l’on comprenait ce que l’on était venu faire sur cette terre : être soi-même une porte, un chemin d’humanité pour quelqu’un d’autre. N’est-ce pas le rôle le plus élémentaire qui nous soit réservé à chacun ?
Cette phrase n’est pas sans me rappeler que Jésus déclare dans l’évangile de Jean : «Amen, amen, je vous le dis: je suis la porte des brebis. »
Pour répondre à la première question sur l’héritage, je me sens héritière d’une longue histoire collective qui plonge ses racines dans la nuit des temps. De cette nuit profonde, émergent des mythes fondateurs (Bible et autres récits) qui donnent à l’humanité ce dont elle a besoin pour s’extraire du monde inerte et sans vie ou bien du monde animal). Et donc ce qui me paraît essentiel de préserver est cette capacité relationnelle de coopération, de connivence qui permet d’avancer collectivement avec confiance vers avenir plus accueillant.
Pour répondre à la seconde question, il faut que je puisse exprimer ce que j’ai peur de perdre, pas seulement pour moi mais aussi pour mes enfants et l’humanité qui vient. Je crains que soit perdu toute l’attention portée à l’humanité, tout ce que les mythes fondateurs portent en eux de vie humaine pour des intérêts froids inhumains et barbare dans lesquels l’humain serait un pur accessoire (ces vieux mythes considérés comme archaïques et dépassés par une modernité prétentieuse seraient mis au rebut des vieilleries inutiles). J’ai peur d’une humanité qui se fragmenterait en petits ilots d’individualisme exacerbé, tous incapables de communiquer et de collaborer à un avenir vivable. Il faudrait donc être capable de préserver toute forme de relation humaine de nature horizontale et verticale qui permettrait cette marche collective sur un chemin d’humanité partagé. Quel est l’obstacle le plus difficile à surmonter ? Probablement la peur, la suspicion, la menace généralisée. Et donc il faudrait retrouver la voie (et la voix) de la confiance.
Pour répondre à la troisième question, je crois que bien des rêves et des illusions reposent sur le désir d’imprimer le souvenir de sa propre personne dans la mémoire de l’humanité. Certains agissent pour le bien de tous, d’autres pour le malheur d’un grand nombre de personnes, d’autres ne se préoccupent que d’eux-mêmes. Je crois que cette obsession de laisser une trace dans la mémoire collective est un asservissement à une illusion d’éternité terrestre. Il me semble qu’il y a un moyen de se libérer de cette illusion d’éternité est de s’affranchir de son égo, en se redéfinissant le moi « haïssable » (selon B.Pascal), en un nous « humains » collectif et intégrateur. Ce « nous » est le pronom que je retrouve dans le prologue de l’évangile de Saint-Jean : « Il a habité parmi nous : et nous avons vu Sa gloire pleine de grâce et de vérité, qui est la gloire que le Fils Unique tient du Père ». L’essentiel est probablement ailleurs que dans un nom écrit sur les pages d’un livre d’histoire et rappelé à la mémoire des vivants. Je crois bien plus en ce que les vivants portent en eux de confiance et de désir d’avenir pour eux-mêmes et pour d’autres, en ayant essayé de leurs transmettre modestement, ce que j’avais moi-même reçu en héritage, par les relations humaines consistantes dont je parlais plus haut.

Et pour terminer, je ne prétends pas changer le monde. Je ne peux que me transformer moi-même et entrainer avec moi d’autres personnes pour emprunter le même chemin d’humanité que Maurice Bellet nous invite partager en m’appuyant avec respect et gratitude sur les discours fondateurs humains qui m’ont précédée.

Emylia



Pour ceux qui souhaiteraient poursuivre une réflexion sur ce sujet, je voudrais préciser que Maurice Bellet a publié en 1990 un livre 'Dire, ou la vérité improvisée" qui proposent une série de thèmes de ce type sur lesquels ont peut partager nos points de vue en groupe.

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Emylia