mercredi 12 novembre 2014

Histoire d'Abraham

De nos jours, Il y a de quoi être très dérouté, sinon révolté avec l’histoire d’Abraham. Comment est-il possible qu'un père doive choisir entre deux options inconciliables ; choisir entre Dieu et son propre fils ; c’est-à-dire choisir entre obéir à Dieu et sacrifier son enfant, ou bien désobéir à Dieu et épargner son enfant. Le devoir de tout parent n’est-il pas d’introduire et d’accompagner ses enfants sur le chemin de la vie d’homme de l’enfance jusqu’à l’âge de devenir lui-même parent ? D’ailleurs ce devoir n’est pas simplement légitime ou moral. Il est avant tout une nécessité de l’amour. Et l’amour surpasse toute loi, règle ou tradition. Mais dans le livre de la Genèse, l’amour n’a pas encore été introduit dans l’humanité. Il faut attendre d’abord le décalogue avec la Loi de Moise, puis les Évangiles avec Jésus Christ.
Mais peut être que cette histoire n’est pas à comprendre au premier degré. Le trait caractéristique d’Abraham est son obéissance inconditionnelle à Dieu. Il ne semble jamais s’interroger sur le pourquoi de ses actes. Est-ce illégitime ou juste de faire preuve de discernement, ou bien faut-il s’abandonner aveuglement à ce que l’on croit être la volonté de Dieu ?
C’est ainsi qu’Abraham quitte sa terre natale et erre en pays de Canaan. Vivre en nomade, c’est accepter de ne jamais pouvoir amasser de biens et de faire confiance à la providence pour subvenir à ses besoins. Abraham est un pauvre qui se contente de presque rien et n’exige rien.
Aujourd’hui en occident, à moins de faire le choix d’un engagement religieux professionnel, nous sommes contraints d’accumuler plus ou moins de biens selon nos possibilités matérielles pour ancrer socialement nous-même et notre famille dans nos civilisations contemporaines (il est difficile pour un laïc de demeurer pauvre par pure vocation).
Pour Abraham, Dieu fait seulement la promesse d’une longue descendance, et lui accorde sur le tard le don de ses deux fils, Isaac et Ismaël. Mais Abraham subit l’épreuve d’une double contradiction cornélienne. D’une part il subit l’influence de sa femme Sarah pour chasser sa servante Agar et son second fils Ismaël et d’autre part perçoit un commandement divin de sacrifier Isaac. Les deux fils chéris sont promis à une mort certaine.
Dans nos vies, nous sommes souvent confrontés à des choix cornéliens à faire qui nous conduisent à faire un mal pour tenter de faire aussi un bien en contrepartie. Aucune situation n’est jamais absolument claire.
En revenant à l’histoire d’Abraham, l’interprétation pourrait être totalement inversée, donc contraire aux impressions premières au premier degré. Ce n’est pas Dieu qui impose cette situation absurde et inhumaine. Dieu intervient pour sauver les deux fils des erreurs de leur père. Eh oui, les parents parfaits n’existent pas. Il faut bien que quelqu’un répare les préjudices subis. Ismaël et Agar seront sauvés par Dieu d’une mort inéluctable dans le désert. Quand à Isaac, Dieu arrêtera le rite du sacrifice qu’Abraham croit avoir entendu.  
La seule possession dont Abraham a été gratifié est celle de ses fils. Cette possession pousse ce dernier à un attachement excessif qui étouffe ses deux fils. Aussi Abraham commet un meurtre symbolique sur ses fils en les empêchant de s’émanciper en tant qu’hommes. Abraham apprend renoncer à sa part de lui-même, sa propre chair, en laissant ses fils le quitter pour mener leur propre vie. Finalement Abraham n’aura jamais rien possédé de sa vie.
Pour nous aussi, fonder une famille n’est pas simple et demande des sacrifices. Un jour ou l’autre se pose la question de nos relations avec nos proches et particulièrement notre conjoint ou enfants. Nos ne possédons pas notre époux ou nos enfants. Nous devons accepter qu’ils soient libres ou que les enfants le deviendront bientôt. Cette acceptation nous conduit à laisser filer cette part de bonheur familial que l’on pourrait croire acquise. Mais en fait nous ne possédons rien, et surtout pas nos proches. Nous avons aussi à apprendre à nous dépouiller de ce qui nous importe.

Je ne sais pas si les auteurs de la bible voulaient vraiment suggérer cette interprétation de la nécessité de la séparation parents / enfants et du thème de la dépossession. Les biblistes ne connaissaient pas la psychologie et n’avaient donc pas les techniques d’expression qui auraient permis de préciser leur pensée. Mais probablement les gens de cette époque savaient bien mieux interpréter culturellement les récits symboliques que nous.

Emylia

Texte inspiré par le livre de Pierre Marie Beaude "La bible de Lucile"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous pouvez librement exprimer votre commentaire, sous réserve qu'il soit respectueux de tous. Vous pouvez choisir contribuer anonymement, sans la contrainte de vous identifier, sans avoir à vous pré-enregistrer quelque part.
Si vous contribuez en tant que participant anonyme, n'oubliez pas de laisser votre pseudonyme dans le corps de votre commentaire. Attention de ne pas dépasser la limite de 4096 caractères pour votre commentaire. Consultez la page consacrée aux commentaires pour plus de précision. Avec mes remerciements.

Emylia