samedi 22 novembre 2014

Moments de grâce

Il n’est pas nécessaire de croire en Dieu, d’avoir une spiritualité, pour vivre des moments de grâce. Comment reconnaît-on ces moments là ? On se sent un peu différent, comme si l’on était saisi dans un état de bien être, d’émerveillement, comme transporté par quelque chose qui nous dépasse. Ces biens étranges moments transitoires sont difficiles à qualifier tant qu’on ignore leur origine. On ne saurait avoir qu’une vague idée abstraite d’une possible transcendance. Mais on n’en sait rien. Ce que l’on sait seulement, c’est que ces moments peuvent se produire à certaines occasions et qu’on peut favoriser leur occurrence.
Si je fais un retour en arrière sur mon passé, ce qui de façon récurrente me saisissais et continue aujourd’hui encore à me prendre dans une émotion presque indicible, c’est l’écoute de la musique, et surtout la musique classique. Adolescente, j’avais voulu apprendre la guitare classique, instrument polyphonique à lui tout seul par excellence. Au bout de quatre années, la lourdeur de mes études m’avait poussée à abandonner alors que je devenais plus mélomane que jamais. Je préférais me délecter dans l’écoute des concertos pour piano de Rachmaninov et les symphonies de Gustave Mahler que je continue d’apprécier inlassablement encore aujourd’hui. Du temps de ma jeunesse, mes gouts me portaient vers la musique instrumentale, surtout symphonique de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle.
Ma propre histoire à l’âge adulte m’a peu à peu éloignée de la pratique musicale et de l’art, pour me rapprocher très étroitement de la science, c’est à dire pour pénétrer les domaines de la connaissance du cosmos, en particulier celui de l’inerte (physique,  astrophysique et cosmologie).
Oui il y avait peut être un rêve de la connaissance des choses abstraites qui m’emportait tandis que je laissais derrière moi mes sentiments et mes émotions. J’avais délaissé » peu à peu le corps pour m’intéresser aux choses de l’entendement donc de l’esprit et de l’intelligence au détriment du cœur.
Ce n’est que depuis que la réalité du corps m’a rattrapée, que j’ai voulu rééquilibrer en moi la dualité corps-esprit dans son intégralité, en pleine conscience.   
Alors la musique a repris de nouveau sa place dans ma vie, d’abord par une écoute transportée. Peu à peu, je suis devenue de plus en plus sensible à la voix humaine, particulièrement au travers de la musique sacrée.
Il y a trois ans, alors que je retournais à la messe dominicale après trente ans d’absence, je découvre que la messe dans ma paroisse de proximité est animée par une chorale polyphonique au passé prestigieux (trois CD avaient été enregistrés dans le passé). Je succombe subjuguée par la beauté et l’harmonie de ces chants entonnés en cohérence par tous les choristes. Je rejoins de suite le groupe et je découvre que les paroles des paroles m’interpellent et vibrent dans mon cœur, autant que celles que je lis dans mes livres. Je revis ces moments de grâce musicale que je connaissais, amplifiée par rapport à l’écoute de musique en concerts, sur CD ou sur internet puisque je participais à la réalisation de cette beauté éphémère et insaisissable. Notre chorale était dirigée par un talentueux chef de chœur lui même amateur mais de formation d’excellence. Je renoue avec les répétitions, la lecture du solfège. Mais pour moi, cette pratique musicale là est totalement nouvelle. J’admire la motivation des bénévoles à maintenir cette manifestation liturgique en dépit des autres urgences de leur vie.
Puis l’année passée, la présence du chef de chœur s’estompe. Sa situation professionnelle s’est transformée de celle d’un enseignant en Science et Vie de la Terre à celle d’un directeur d’établissement scolaire catholique.
Nous nous retrouvons entre nous, choristes, avec notre pauvre et médiocre connaissance de la musique et du chant à tenter de reprendre l’animation musicale de la messe. Je me retrouve moi-même à devoir monter au pupitre et à l’ambon pour animer la messe lors « mon tour de garde ». J’ai accepté de m’y coller malgré mon incompétence caractérisée. « La chorale aide à la prière » déclare une choriste.
Aujourd’hui se pose la question de la survie de notre chorale. Elle passe forcément par ma contribution renforcée à la direction de la chorale et par l’acceptation de formations ciblée. Que dois-je faire ?
Or en ce moment je me sens traversée par un profond désir de musique. J’écoute en boucle des musiques vocales et certaines musiques de film dont l’histoire m’a énormément touchée. J’aspire à apprendre à jouer du piano, non pas pour devenir virtuose, mais pour éprouver le transport et la joie de l’humble interprète de mélodies composées par d’autres musiciens. Je viens de me décider d’apprendre le clavier arrangeur sur l’instrument offert à l’un de nos enfants. Cet arrangeur est demeuré silencieux durant deux ans, car personne ne s’est plongé sur son fonctionnement ni n’a tenté de l’apprendre. Mais je tends à penser que cet apprentissage n’est pas si difficile que je le croyais.
 Je suis étonnée de constater que ce désir de création musicale se croise avec mon activité en péril de choriste. Je m’interroge sur le fait que ma forte motivation à réapprendre la musique aussi tardivement a un rapport avec un devoir moral ou spirituel de sauver une chorale de messe de l’effondrement inéluctable. Une génération crée une œuvre extraordinaire destinée à l’effacement en raison du retrait des générations suivantes. C’est le mouvement de la vie. Qui sait si cette œuvre ne sera pas restaurée dans quelques décennies. Qui impulse les motivations collectives créatrices de l’humanité, même pour les plus modestes d’entre elles ?

Emylia

Ce qui est en cause est ce qu’il advient de l’être humain, ce qui change en lui. L’œuvre première est que vienne en lui ce second souffle qui lui donnera force et lumière pour créer son chemin. Cette puissance neuve, il ne sait d’où elle vient ni où elle va, c’est pourquoi elle est sa liberté. Il peut faire confiance à ce qui lui donne vie pour inventer sa vie.
Mais par quelles tâches ? Où sera l’action ? Le choix proposé ici sera parfaitement discutable. Il correspond aux deux piliers où l’être peut exercer ce qui l’inspire. Ce sera, sans doute, pour y pressentir quelle mutation peut s’y faire – afin que les humains aient une demeure digne de ce qu’ils sont. Ce sera donc l’art et la science. Ce n’est pas un choix innocent. Il suggère que ce qui fait la valeur d’un être humain, c’est ce qu’il donne. C’est ce qui sort de l’homme qui juge l’homme.  

L’explosion de la religion (chapitre inspiration)
Maurice Bellet, 2014


Concerto pour piano N° 2 de Rachmaninov:





Adagietto de la 5ème symphonie de Gustav Malher :

Et ma musique d'Ennio  Morricone qui me transporte en ce moment :

3 commentaires:

  1. Bonjour Emylia,

    Je viens seulement de lire votre dernier billet car j'ai été très prise ces derniers temps et vais l'être encore.

    J'ai très envie de vous encourager à faire ce que vous pouvez pour maintenir votre chorale paroissiale. Chez nous, il y en a eu une très bonne que je regrette beaucoup. Notre paroisse est de moins en moins vivante et je pensais justement parler bientôt à notre ancien chef de chœur, une amie, et essayer de lui donner envie de reprendre la direction des chants pour redonner de la vie, et de la beauté surtout, à nos célébrations.
    Avec la chorale d'une commune voisine, chorale laïque mais interprétant souvent des messes et chants du répertoire religieux, elle donne des concerts dans certaines villes de France, Concerts suivis .
    Quel dommage que nos messes soient devenues si mornes avec de tels talents tout près! ! Il m'arrive de suivre des messes à la télévision célébrées sous d'autres latitudes. On y chante avec enthousiasme et joie, une joie communicative qui exprime la joie de croire. Un non-croyant qui assisterait à une messe dans notre paroisse pourrait penser certainement que nous ne croyons qu'à des vérités bien tristes. Pas de quoi attirer beaucoup! Je pense à cette phrase attribuée à Nietzsche: "Je croirai quand vous chanterez des chants meilleurs."

    Puisque vous connaissez la musique, que vous l'aimez et avez envie de vous y remettre , vous avez là une occasion d'évangéliser sans discours mais en utilisant un de vos talents et d'être une pierre vivante au sein de l'Eglise pour lui donner plus de vie.
    Vous serez très utile. Dans cette chorale qui fonctionnait bien, et qui n'est pas morte, il y a sans doute d'autres personnes douées qui peuvent travailler avec vous pour que tout ne repose pas sur vos épaules.

    Bonne soirée et bonne chance.
    Thérèse;

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  2. Bonsoir Thérèse,

    Je suis très heureuse d'avoir de vos nouvelles. Vous avez raison. Je trouve fascinant votre idée d'évangélisation sans discours. Dans cette forme d'évangélisation, il n'y a pas de "prise de pouvoir" par celui qui parle et qui a "l'autorité" de la parole.
    Je ne suis pas seule heureusement. Il y a d'autres personnes de bonne volonté. La tâche est grande et nous devons nous la partager.
    La semaine prochaine, je serai en formation "animateur de chorale" : histoire de me donner un peu plus d'assurance.
    J'aime bien cette juste phrase de Nietzche : "Je croirai quand vous chanterez des chants meilleurs."

    Je vous souhaite une bonne soirée en espérant que vous ne souffrez pas trop ou que vous n'êtes pas trop handicapée en ce moment.

    À bientôt.

    Emylia

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  3. Merci Emylia, très beau texte, très belle vérité! vraiment j'ai aimé vous lire et relire. J'ai beaucoup à dire....l'émerveillement dans la musique...dans tout ce qui a été créé dans l'amour de l'art. Dieu se fait tendresse dans toute cette beauté et elle nous touche au plus profond de nous même....de notre âme....
    J'en parlerais toute la journée...tellement c'est beau! Merci
    Mamou

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Emylia