dimanche 7 juin 2015

Le rire de Dieu

Je suis toujours stupéfaite lorsque des éléments de ma vie éclairent ou sont éclairés par des lectures spirituelles très récentes.
Ce matin, messe d’une heure et demi célébrée par un jeune prêtre étudiant. Pendant l’homélie, ce prêtre s’emporte avec véhémence à l’encontre de toutes les personnes qui n’accordent pas au moins une heure de leur temps par semaine à Dieu. Il exhorte les paroissiens de ne jamais rater une messe dominicale sous aucun prétexte, et surtout pas sécher une messe en période de vacances, coupables que nous serions de ne penser qu’à nos loisirs et petits conforts. Il y a dans l’assistance des personnes qui fréquentent l’église depuis deux ou trois fois son âge. Nombre d’entre-elles ont déjà vécu le poids de l’expérience de la vie, la violente douleur de la perte d’êtres chers, la souffrance physique et morale par la maladie lourde et incurable. Cette attitude s’oppose au témoignage de miséricorde de ce prêtre retraité dans le bulletin de notre paroisse, prêtre pourtant très actif en aumônerie hospitalière. Il exprime son émoi lorsqu’une religieuse en phase terminale du cancer lui avoue qu’elle ne parvient plus à prier. Alors elle veut s’offrir en offrande vivante au Seigneur.
Deux prêtres, deux visages différents de Dieu s’opposent, celui de l’ancien testament et celui du nouveau testament.
Cette anecdote se produit juste alors que je viens de lire et de terminer le remarquable livre d’Andrée Chedid sur « La femme de Job ».
La femme de Job est ce personnage insignifiant de l’énigmatique livre de Job de l’ancien testament, qui sous la plume d’Andrée Chédid détient la clé du mystère du Dieu colérique et vengeur de l’ancien testament. Le vieux Job est noyé dans les profondeurs de sa douleur ineffable. Il ne comprend pas, lui l’homme intègre et droit qui n’a jamais oublié le moindre sacrifice, offrande et prière. Il a même voulu faire de la surenchère en dévotion et purification, en s’assurant d’avance contre d’éventuels péchés  que pourraient éventuellement commettre ses enfants pourtant tous très bien élevés dans la crainte de Dieu. Le mal et le malheur s’est pourtant abattu sur lui et sa famille sans que Dieu daigne un tant soi peu protéger son meilleur serviteur. Il est impossible de contracter des assurances divines contre le malheur. Il faut boire la coupe quand elle est tendue.
Si Job est dans l’incompréhension de la cause de son malheur. Il s’y accroche désespérément. Ses amis qui viennent lui rendre une visite de courtoisie lui reprochent d’avoir forcément péché et donc que son malheur n’est autre qu’une punition bien méritée. Il y a aussi ce jeune homme arrogant Elihou sans expérience de la vie, très éduqué et savant en matière de religion qui en assène une couche supplémentaire avec une rhétorique exemplaire. La femme de Job, murée dans le silence qu’impose souvent la bible aux personnages secondaires attend patiemment que son époux découvre enfin le vrai visage de Dieu. Or le vrai visage de Dieu est voilé dans l’ancien testament, puisque le Christ ne naitra seulement que dans quelques siècles. Le bibliste pré-chrétien n’aurait pas pu comprendre et écrire ce qui s’est vraiment passé.
Le retournement se produit lorsque Job admet que Dieu est mystère et qu’il n’a pas à exiger des explications divines. Dieu parle enfin à Job et à Elihou, à chacun dans leur intériorité. Plus précisément, ils entendent en eux le rire de Dieu qui résonne. Job arrive à porter ses yeux au delà de son malheur pour découvrir qu’il aime sa femme et que sa femme l’aime. Il comprend que l’essentiel est là, dans la présence insignifiante mais réelle de sa femme. Ce personnage insignifiant et inaudible est déjà habité par le vrai Dieu, le Dieu d’amour inconditionnel, le Dieu du Christ qui n’est pas encore né.
 Elihou comprend la vanité des discours. L’histoire ne dit pas qu’il a peut être découvert Dieu dans le silence des mots quand ils ne portent plus des concepts, lorsque ce n’est plus la bouche qui parle mais un cœur de miséricorde.
J’ai découvert bien d’autres personnages insignifiants dans l’ancien testament à côté des grands très connus dont on traite en longueur l’histoire pas toujours glorieuse (loin de là). Les personnages insignifiants sont souvent de sages et saintes personnes, des victimes innocentes qui préfigurent en filigrane le Christ à venir. L’ancien testament en parle si peu. Et Jean Marie-Beaude fait remarquer que le nouveau testament se rappelle de ces personnages. En ce moment, je lis sur le règne de David qui est loin d’être un saint. En particulier il a envoyé à la mort l’un de ses soldats Urie de Hittite pour lui prendre sa femme. Il se trouve que l’Évangile de Matthieu se souvient d’Urie et pas du nom de sa femme.

Le Christ est-il caché, en germe dans certains personnages insignifiants de l’ancien testament ?

Emylia

6 commentaires:

  1. C'est vrai, Emylia,l'Ancien Testament a de ces mystères, souvent difficiles à comprendre aujourd'hui... On doit constamment se rappeler, quand on le lit, ce que les Ecritures disent réellement : non pas précisément ce que Dieu a finement voulu transmettre, mais ce que leurs auteurs (et les différents interprètes et copistes qui ont suivi jusqu'à aujourd'hui) ont réussi à en comprendre et interpréter - avec toute leur bonne volonté, rigueur et honnêteté bien sûr - mais dans les limites de leurs imperfections et connaissances de l'époque... et ce, dans un contexte de moeurs régionales et historiques qui nous sont absolument étrangers et incompréhensibles aujourd'hui. (merci aux savants exégètes de faire tout ce travail d'interprétation actualisée pour nous les rendre audibles.)

    Dieu a été perçu pendant longtemps comme un super gendarme, bienveillant et aimant qui encourageait le bien, certes, mais dénonçait - voire punissait très sévèrement - le mal. C'est précisément la malheureuse aventure de Job qui a fait évoluer les compréhensions à ce propos. Et il a fallu encore que les siècles, les millénaires passent pour commencer à comprendre, par le Christ, que Dieu est Amour, uniquement Amour, et qu'il est complètement étranger au mal. Ses soi-disant punitions ne sont bien souvent que les conséquences des actes, des égoïsmes et autres ignorances des hommes. Ceux-ci, depuis toujours d'ailleurs, passent tellement de temps à s'entre tuer, être le meilleur, le plus fort, le plus puissant, le plus "tout", qu'ils en manquent cruellement pour mieux comprendre la vie, la nature, lui-même, Dieu... Et c'est à recommencer à chaque génération !!!

    En changeant durablement de priorité, l'humanité pourrait enfin mieux aimer (universellement) et réussir à vivre pleinement, tel que Dieu l'a prévu... Mais il faudra encore de nombreuses générations (qui, chacunes, oublient, mettent en doute, puis recréent le monde dans leurs esprits) avant que cela n'arrive...

    Pourtant, comme Job, chacun de nous peut faire avancer les choses, à son petit niveau ! car tous ces petits niveaux peuvent un jour en faire advenir de grands...

    Merci Emylia, pour tous vos billets, toujours si intéressants à lire...

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  2. Chère Anik,
    Je vous remercie beaucoup pour votre soutien.
    Il en faut du temps dans une vie pour comprendre le Christ et de saisir le vrai visage de Dieu. Et il faut recommencer à chaque nouvelle génération.
    Il y a un moyen d’accélérer la prise de conscience des nouvelles générations : simplement les aimer naturellement et surtout pas trop ostensiblement, les aider spontanément, sans arrière pensée, sans l’attente d’une réciproque. Leur donner, cela signifie donner notre amour, donner notre confiance, partager notre joie et pourquoi pas nos espérances. Donner aussi toute notre attention et notre écoute.
    Ne pas dissimuler nos peines, ne pas cacher de secret de famille qui pourrait transpirer au travers de notre attitude mal maitrisée.
    Enfin vivre vraiment son humanité et ne pas plier à toutes les injonctions extérieures qui nous inciteraient à renier notre nature humaine pour obéir aveuglément à des règles inhumaines.
    Quand à l’ancien testament, de nombreux textes sacrés paraissent chrétiennement étranges très énigmatiques ou inachevés. Ils appellent à un travail personnel de méditation chrétienne.
    Les homélies des messes traitent le plus souvent des évangiles. L’ancien testament est moins souvent expliqué.
    Et c’est aussi bien qu’il reste de travail à faire pour que la foi ne dépérisse pas par manque d’activité spirituelle.

    Est ce que l’humanité dans son ensemble peut progresser en sagesse et en grandeur d’humanité ?
    Espérons qu’il existera tout le temps quelques hommes dont l’attitude exemplaire rachète celle de tous les autres inconscients.

    Bonne soirée Emylia

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  3. Bonjour,

    Dans plusieurs de ses livres, Maurice Zundel ( que j'ai un peu relu ces derniers temps) explique que Dieu a délivré son message par l'intermédiaire des auteurs de l'Ancien Testament, d'abord très progressivement en tenant compte du degré de compréhension de l'humanité, un peu comme une mère adapte son langage à son enfant, selon son âge. C'est pourquoi, bien des passages nous heurtent aujourd'hui car ils ne correspondent plus du tout à notre mentalité du XXIe siècle.

    Quand les récits guerriers ont été écrits( par exemple) il fallait montrer que le Dieu d'Israël était le plus fort pour montrer à une époque où le polythéisme était encore majoritaire qu'il était le seul vrai Dieu. Il fallait montrer qu'il était du côté de son peuple et que donc les massacres avaient été perpétrés sur son ordre.
    ("Le Seigneur ordonna de passer tous les ennemis au fil de l'épée")
    C'était lui le grand vainqueur et c'était donc lui qu'il fallait adorer pour faire le bon choix.

    On était encore très loin d'un Dieu désarmé, mourant comme un faible -par amour- sur une croix. Il faudra du temps, beaucoup de temps, comme vous l'avez souligné toutes les deux , Anik et Emylia, pour comprendre et accepter ce visage de Dieu et ce n'est pas encore vraiment acquis de nos jours.

    Comprendre que la vraie grandeur est dans l'Amour , l'amour humble qui sait s'effacer, se donner pour que l'autre vive et grandisse, cela demande du temps, en effet.
    Je suis bien d'accord avec vous, c'est à méditer sans cesse.
    Bonne soirée à vous.

    Thérèse.

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  4. Bonjour,

    L'humanité saura-t-elle aimer universellement un jour et vivre ce que Dieu souhaite la voir vivre ?
    Si j'ai bien compris votre questionnement, une page du quotidien "La Croix" daté du samedi 13, dimanche 14 juin, semble répondre à cette question, du moins elle présente la réponse de Teilhard de Chardin . L'article du philosophe et jésuite Henri Madelin mériterait d'être entièrement reproduit. Je vais essayer d'en donner des extraits.

    "Pour cet homme de foi et de science, parler aujourd'hui du futur de l'humanité oblige à conjuguer deux approches: une culture théologique qui relie le monde de l'homme et celui de Dieu comme le fait Paul, et une démarche scientifique moderne reposant sur plusieurs disciplines qui s'occupent de la terre et des hommes qui la peuplent.

    Le Christ ressuscité reviendra en gloire à la fin des temps [....]
    Ce retour du Christ qui marque la fin de l'Histoire, Teilhard l'appelle le point Oméga. [....]

    Tout se déroule au fil des temps, avec des échecs possibles et des poussées éventuelles de grande violence, comme nous le constatons en ce début de XXIème siècle. Un échec total peut même faire partie des hypothèses pour le futur. Mais Teilhard pense que, finalement, l'humanité parviendra pour de bon à repousser les tentations de retomber dans l'inconscience et réussira finalement à opter collectivement pour le bien. [....]
    A l'homme des temps modernes, "flèche de l'évolution" de prendre conscience qu'il tient entre ses mains "la fortune de l'univers".

    " Qu'on tourne et retourne les choses comme on voudra, écrit Teilhard, L'univers ne peut avoir deux têtes...Centre universel christique, fixé par la théologie , et Centre universel cosmique, postulé par l'anthropogenèse, les deux foyers en fin de compte coïncident (ou du moins se recouvrent) nécessairement dans le milieu historique où nous nous trouvons placés.

    Cette visée grandiose est une manière conforme aux sciences modernes et à la théologie d'honorer les expressions les plus audacieuses de Saint Paul. Elles peuvent être prises au sens littéral, écrit P. Valadier, et il cite Teilhard:
    "...dès l'instant où le Monde se découvre suspendu, par sa face consciente, à un point Oméga, et où le Christ apparaït , en vertu de son incarnation, précisément revêtu des fonctions d'Oméga".

    Suit une belle prière du savant. Je la recopierai...Sans doute bientôt, j'espère en tout cas...
    J'espère aussi que je ne vous ai pas ennuyées en vous partageant cette lecture. Elle m'a donné l'envie de lire le livre où Teilhard expose en détail cette théorie pour essayer de mieux la comprendre. Je vais en chercher le titre.

    A bientôt.
    Thérèse.

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  5. Bonjour,

    Voici comment P. Valadier termine son article:
    " C'est dans une magnifique prière, au soir de sa vie, que le P.Teilhard condense ses découvertes scientifiques et sa visée mystique:

    "Sous la forme d'un " tout-petit" entre les bras de sa mère -conformément à la grande loi de Naissance-, vous avez pris pied dans mon âme d'enfant, -Jésus. Et voici que, répétant et prolongeant en moi le cercle de votre croissance à travers l'Eglise - voici que votre Humanité palestinienne s'est peu à peu épandue, de toutes parts, comme un iris innombrable où votre présence, sans rien détruire, pénétrait, en la sur-animant, n'importe quelle présence autour de moi...Tout cela parce que, dans un univers qui se découvrait à moi en état de convergence, vous aviez pris, par droits de Résurrection, la position maîtresse du Centre total en qui tout se rassemble! "

    Bon après midi.
    Thérèse.

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  6. Bonsoir Thérèse,

    Merci beaucoup pour votre partage.
    Pour le premier thème sur une révélation qui se dévoile infiniment lentement à l'humanité selon son degré de maturité, il est toute de même très étonnant que l'interprétation du message divin soit si difficile à réaliser, surtout si
    l'on veut retrouver un cœur doux, simple et humble, un esprit pauvre au sens de l'évangile. Il est vrai qu'il est très difficile de s'alléger du superflu qu'on n'arrête pas d'accumuler comme de la mauvaise graisse qui s'incruste dans la chair.

    Quand au deuxième thèse au sujet de Theilhard de Chardin, je sens bien que le point de jonction entre foi et science est l'insatiable quête de la vérité ultime qui de toute façon est inatteignable.

    Bonne soirée.

    Emylia

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