dimanche 15 février 2015

Identité, liberté de pensée et d’expression, intolérances

Depuis le début de cette année, j’avance toujours lentement et progressivement dans la bible guidée indépendamment mais parallèlement par Pierre-Marie Beaude et Joseph Moingt. Eh puis cette semaine, j’ai écouté les quatre émissions sur le « traité théologico-politique » de Spinoza, l’un des premiers philosophes à avoir pensé la question de la tolérance religieuse et de la liberté de philosopher, au XVII siècle, peut être d’ailleurs après Socrate (selon Platon), Socrate ayant été victime dans sa chair de l’intolérance religieuse. Mes lectures et écoutes sont en résonnances mutuelles et en échos avec l’actualité dramatique récente la plus déplorable. Elles m’aident à comprendre ce qu’est l’intégrisme, le dévoiement des religions à des fins de pouvoir. Je m’interroge si la recherche aberrante d’une identité illusoire ne conduirait pas de prétextes fallacieux à des actes ignobles et indignes du véritable esprit religieux. N’y a t’il pas à la source de ce comportement identitaire, une peur inconsciente qui pourrait probablement être contrecarrée par une psychanalyse curatrice collective et individuelle.
Mais pour réfléchir, je ne vais pas commenter les événements récents. Comme souvent, pour comprendre, je préfère de me pencher sur notre passé, où se joignent notre histoire « historique » et notre spiritualité.
Cette histoire qui est celle du peuple hébreu est aussi un peu notre propre histoire. Elle commence au VI siècle av J.-C par ce peuple déporté en Babylonie loin de sa propre terre. Toute déportation constitue  une menace d’acculturation et d’amnésie. D’ailleurs le peuple hébreu en tant que tel n’existe déjà plus. Deux siècles auparavant, le peuple hébreu était divisé en un peuple d’Israël au nord (la Samarie) et le peuple de Juda au sud (région de Jérusalem). Au VIII siècle av. J.-C, l’Assyrie avait conquis la Samarie et le peuple d’Israël avait disparu.
Je fais donc commencer l’histoire au VI siècle av. J.-C, car les prêtres qui prennent conscience du danger de l’oubli de soi, décident devant l’urgence présente, de rédiger les mythes fondateurs qui se transmettent par traditions orales depuis des siècles : histoire mythiques d’Abraham, et surtout de Moise.
Ils initient ainsi l’écriture de l’ancien testament pour aider le peuple de retour d’exil à se créer une identité qui n’était pas forcément si claire avant la déportation. Cette identité est étonnamment peu glorieuse. Elle insiste sur la pusillanimité humaine, la faiblesse devant le péché. Paradoxalement, c’est le souvenir des erreurs du passé qui consolideront à jamais l’identité indissoluble du peuple juif. Car si la Bible depuis Moise fait référence à une période de liberté et d’indépendance du peuple hébreu (époque des Juges et des Rois, rarement en paix), le peuple ne sera plus jamais libre jusqu’à la création de l’état d’Israël en 1947. En effet, depuis la déportation à Babylone, il sera occupé successivement par les Perses, les Grecs puis les Romains avant la diaspora de plus de 2 millénaires.
Pour créer une identité collective de nature religieuse qui résiste aux invasions extérieures, il faut certes à la base des convictions spirituelles profondes. Mais ces convictions ne sont pas forcément partagées et comprises par une majorité. Elle ne génère pas forcément suffisamment de cohésion. Pour faire adhérer tout un peuple, il faut y rajouter de nombreux rites et maintes contraintes (des lois comme dans le Lévitique et les Nombres) qui organisent à n’en plus finir la vie des personnes.
Ces rites et lois voilent les raisons spirituelles originelles et laissent peu de liberté et responsabilité aux personnes. Ces habitudes peuvent conduire à un isolement égotique comme le rejet « intégriste » de ce qui est différent, c’est-à-dire le rejet sans discernement des étrangers, des autres cultures et autres religions.
Sauf que, on en a peu conscience, certains prophètes tardifs ont incité le peuple juif à s’ouvrir à d’autres peuples en reconnaissant l’existence d’hommes justes dans les autres nations. Des écrits tardifs appelés apocalyptiques non intégrés au canon des écritures chrétienne et juives témoignent d’une certaine ouverture préfigurant un mouvement universalisation du monothéisme dans les siècles qui précèdent la naissance du Christ. Pour aller vers l’universel, il ne faut pas s’arcbouter excessivement sur une identité auto-fabriquée. Autre point selon Joseph Moingt, la question du salut s’individualise. Si autrefois, l’ensemble du peuple devait payer pour le péché de quelques-uns, le rapport à Dieu se personnalise et chacun devient véritablement responsable de ses propres actes devant Dieu. Ainsi commence à émerger la possibilité d’un salut individuel, voire d’une résurrection.
Il y a donc un chainon manquant dans les écritures qui ne nous expliquent pas comment le Christianisme a pu émerger en Judée. Une partie du peuple juif était prête à l’ouverture vers les autres peuples, une simplification des rites et lois pour ne garder que l’essentiel de l’esprit spirituel basé sur l’amour du prochain. Il y a aussi une personnalisation de la vie religieuse qui permet d’adhérer librement et intellectuellement à une  profondeur spirituelle sans se perdre dans des dévotions mal comprises. Je ne sais pas ce que vous pensez, mais je trouve qu’il est essentiel de mieux comprendre cette période méconnue des trois siècles qui a précédé la venue de Jésus.
On comprend mieux ainsi comment a pu s’opérer la séparation entre le judaïsme et le christianisme au début de notre ère. Cela ne veut pas dire que nos amis juifs soient intégristes et que nos chrétiens soient tolérants. Il ne faut pas se faire d’illusion, la ligne de fracture entre la tolérance et l’intolérance passe à l’intérieur de chacune des religions.
Comme je disais précédemment, le philosophe Spinoza a profondément réfléchi à la résurgence de l’intolérance religieuse dans le pays le plus tolérant d’Europe au XVII siècle, la Hollande. Spinoza a été l’objet d’une exclusion virulente de la communauté juive en raison de préjugés de certains religieux l’accusant d’athéisme. Il est rarement possible de se défendre d’une accusation calomnieuse d’athéisme quand on ose penser librement. Pour s’expliquer, Spinoza a entrepris la rédaction de son « Traité théologico-politique ». Il s’appuie sur son interprétation des écritures. Il y analyse le fonctionnement de la première Théocratie monothéiste judaïque. La principale justification d’une Théocratie est l’égalité parfaite entre les hommes. Mais une telle organisation politique est instable dans la mesure où inévitablement un tyran s’arroge le titre d’intermédiaire divin pour imposer son propre pouvoir au peuple. Spinoza conclut que la moins mauvaise organisation politique est probablement la démocratie avec une séparation étanche entre le pouvoir politique et le pouvoir spirituel. En tout cas, quelque soit le système, il faut préserver la liberté de penser et d’expression dans l’intérêt de tous, y compris dans l’intérêt du souverain politique.

Emylia



Pour écouter le TTP de Spinoza, voici quelques liens.

3 commentaires:

  1. Bonjour Emylia,

    J'aurais bien voulu me mettre au travail de réflexion que vous nous avez proposé cette semaine, d'autant plus que j'avais écouté en direct une des émissions sur Spinoza avec intérêt et m'étais dit que je les réécouterais toutes. Mais voilà... la vie nous bouscule et contrarie nos plans. Je n'ai pas encore trouvé la possibilité de m'y mettre. Je le ferai certainement, mais alors nous aurons sans doute abordé un autre thème sur ce blog. Je suis toujours en retard.

    De plus, le carême est commencé et , quand je trouve un moment disponible, j'essaye de méditer et prier plus. J'ai donc repris des lectures qui m'aident à retrouver l'intériorité et le silence.

    C'est normal que nos besoins ne soient pas toujours bien synchronisés sans doute. Chacun a son propre chemin à tracer, à essayer de tracer en tout cas. Ce n'est pas toujours facile, tant les sollicitations en tout genre nous assaillent. Pour moi, je voudrais que le carême soit une occasion de bien me recentrer, non sur moi mais sur l'essentiel et que justement il m'aide à me décentrer et m'oublier davantage.

    Je vous souhaite à tous une marche joyeuse vers Pâques.
    Thérèse.

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  2. Bonjour Chère Thérèse,

    Ô que je vous comprend ! Depuis un certain temps, mon fils ainé me sollicite beaucoup pour l'aider à rédiger. Et de plus j'ai une activité musicale soutenue nécessaire pour une débutante.

    C'est pour cela que je suis passée à un rythme hebdomadaire d'écriture sur ce blog, par ce que par ailleurs, je suis presque en train d'écrire continuellement (et j'aimerais bien explorer la composition musicale).

    Mais chaque fois que j'ouvre l'un des deux livres que j'ai mentionné, c'est toujours le plaisir de la découverte que je tiens à vous faire partager très bientôt.

    Je vous souhaite un peu de calme, pour vivre en plenitude le Carême.

    À très bientôt.

    Emylia

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  3. Merci Emylia,

    Je profite bien du calme de cet après-midi et j'ai envie de partager avec vous aussi ceci:

    Après avoir écrit mon petit message précédent, j'ai entrepris la lecture du lien de Maurice Zundel , comme j'ai eu l'idée de le faire depuis mercredi. ( sur la droite de l'écran: liens préférés).
    J'ai eu la bonne surprise de constater que le site offre une homélie chaque jour pour nous aider à vivre ce carême.( Pendant 40 jours? je ne sais pas, on verra) Elles me conviennent bien, en tout cas et c'était une bonne idée de votre part de nous donner accès à ce trésor.

    Aujourd'hui, après avoir pensé que l'Abbé Z. idéalisait quelque peu les mères, j'ai beaucoup aimé ce qu'il disait. J'ai repensé à ce que vous écriviez sur les dons, talents etc...il y a peu de temps. Ce que j'ai trouvé de particulièrement intéressant, c'est qu'il parle de passion et, à propos de St François pris comme exemple et modèle, de passion négative d'abord qui devient un tremplin pour aller vers Dieu.

    Je trouve ça très encourageant et c'est exactement ce que j'avais besoin d'entendre (ou lire, mais on peut aussi l'entendre) car je me désole souvent d'être si minable. Une trop grande désolation peut conduire au découragement...qui n'engendre rien de bon.

    Votre amour (votre passion ?) de la musique est un beau chemin . Je vous souhaite une belle suite sur cette route.
    Bon courage à votre fils pour ses travaux de philo.

    A bientôt.
    Thérèse.

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Emylia