samedi 26 avril 2014

Tour de Babel


Les hommes renonçant à se comprendre, après l'insuccès de la tour de Babel,
construisirent chacun la leur et y vécurent.
Tous leurs descendants ont fait comme eux.
Et chacun de nous ignore donc, au fond, le langage de ses semblables.
Augusta Amiel-Lapeyre (Pensées sauvages, 1930)
 


La civilisation dont nous sommes tous peu ou prou les ouvriers
est comparable à la Tour de Babel.
Si nous l'édifions avec tant de peine, c'est que nous ne nous entendons pas.
Edmond Thiaudière (La Proie du Néant, 1886)
 
Assez indifférente dans le passé à la période de Pâques, voici que maintenant je suis très intriguée par sa signification. Notre Pâques est la superposition de la fête hébraïque qui correspond à la célébration de l’exode dont j’ai déjà souligné l’importance dans mon article précédent et d’un événement chrétien exceptionnel sur lequel je vais revenir plus longuement. Ce n’est pas parce que je me déclare chrétienne que je vais renier tout l’héritage hébraïque. La religion chrétienne n’a aucun sens si elle ne peut se référer au judaïsme sur lequel elle a pu établir ses propres fondements. Mais comme je ne cesse de l’affirmer, ces événements religieux ne peuvent avoir un rapport avec nos vies que s’ils sont le relais d’une expérience vécue d’être humain bien ordinaire. Je reviens encore sur l’exode. Notre vie est une succession d’exodes extérieurs et intérieurs. Combien de fois ne sommes nous pas obligés de quitter un lieu, un travail, une cellule familiale pour vivre dans un nouveau milieu inconnu, imprévisible sans avoir la garantie que la nouvelle expérience va bien se dérouler ? L’exode est une forte exigence de changement qui s’impose à nous contre notre besoin de sécurité. La signification de la Pâques chrétienne est encore plus déstabilisante car elle est l’emblème d’un dérapage inéluctable et programmé qui conduit à l’anéantissement. Cependant l’incroyable et l’inconcevable, c’est que de l’anéantissement puisse surgir un renouveau, une renaissance, et pour Jésus-Christ, une résurrection. Dans ce sens la Pâques chrétienne est encore bien plus forte que la Pâques hébraïque, car elle représente l’exode de la vie qui n’est autre que la mort. Mais cette mort est un passage obligé vers une nouvelle vie inattendue, totalement différente, victorieuse et libérée des ténèbres. Comment y croire sans l’avoir expérimenté ?
On peut y croire intellectuellement en admettant avec la raison que les lois naturelles de l’univers connu et visible puissent s’interrompent brièvement pour laisser entrevoir mystérieusement, au travers d’une ouverture de l’esprit une exceptionnelle manifestation de l’univers invisible. Cette croyance est un choix délibéré, une adhésion, un saut volontaire dans la foi, une foi de type 1 (Pascal avec son pari, Kierkegaard et son saut).
L’autre configuration, c’est de vivre une déréliction dans sa vie personnelle, un sentiment d’abandon complet, de croire un moment que tout est fini, que la route s’achève brutalement et qu’on se réveille dans une nouvelle vie, avec la mémoire de l’ancienne vie.  Quel genre de personne devient-t’on dans le second cas ? Peut-on survivre sans foi ? À quel genre de foi, (de type 2 dans ce cas) adhère t’on pour surmonter ? (St Lazare, St Paul, St François d’Assise, Ste Thérèse de l’E. J ?)
J’ai l’impression qu’il y a différents types de fois, de type 0 (ouvert et non défini ici), de type 1, 2 ou bien peut être d’autres formes auxquelles je ne pense même pas. Peut être bien que parfois certaines formes se mélangent entre elles. Et toutes ces perceptions divergentes de la foi rendent excessivement confus nos échanges sur ce sujet, comme si notre parole était irrémédiablement babélisée. C’est une affaire personnelle qui ne concerne que Dieu et soi-même.
Quel serait donc l’intérêt ou même la possibilité d’en parler entre nous ?

Emylia

8 commentaires:

  1. Bonjour Emylia et merci encore pour ce beau billet, cette belle réflexion, tant envoutante qu'invitante...

    A mon humble avis, on ne VIT que par la foi car alors on survit sans foi.

    Mais à chacun sa foi ! Toutefois, il n'y a qu'UN CHEMIN qui y mène, et c'est celui de L'Amour.

    Sans Amour pas de vie, c'est la survie ! C'est Babel. On ne se comprend plus et le courant ne passe plus, et c'est la mort.

    Or la foi c'est la vie.

    Je vous embrasse ainsi que tous et toutes.
    Bonne fête de la Divine Miséricorde.
    Priez pour mon époux et moi qui demain iront mendier Jésus hostie !
    Si non en ce Jour, quel autre ?
    Merci.
    doris

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  2. Bonjour Doris,

    Je suis d'accord avec vous au sujet de l'Amour qui donne la vie alors que sans Amour on ne fait que survivre.
    La quête d'Amour n'est pas toujours consciente. Je me demandais s''il n'y avait pas une quête de vérité qui se superposait à cette quête d'Amour, on qui peut la supplanter en son absence.
    Et si il y a recherche de vérité, quelle est la nature de cette vérité que nous recherchons ?
    - besoin de vie éternelle ?
    - besoin de connaitre notre origine, notre créateur ?
    - besoin de confirmer l'existence d'un Dieu et aime et qui sauve ?
    - besoin de mettre du sens dans la vie et de rejeter l'absurde et le néant ?
    - besoin de trouver de la joie, de satisfaire certains désirs, de vivre de certains plaisirs ?

    Mais peut être que tous ces "besoins de" sont une autre façon de rechercher un Amour qui manque !
    Les mots peuvent être multiples et tendent vers la même quête.

    Bon dimanche à tous.

    Emylia

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  3. Bonjour,
    C'est un problème bien difficile que vous nous proposez cette semaine Emylia, car s'il est plus ou moins aisé de parler de sa foi (selon les jours ), en parler ainsi de façon générale est bien plus complexe, je le sens ainsi du moins.

    Je vais essayer de répondre par petites touches comme les idées à ce sujet me viennent à l'esprit.
    Pour les chrétiens, la Vérité n'est justement pas une idée, mais une Personne: Jésus- Christ. Il faut déjà avoir la foi pour affirmer cela.
    Pascal, à mon avis, avait les deux types de foi dont vous faites mention. Le grand mathématicien qu'il était, était bien évidemment rationnel et son fameux pari s'adresse, je pense, à la raison des personnes qu'il veut convaincre d'avoir un comportement chrétien dans leur vie. Lui-même croyait d'une façon bien plus profonde. Cette foi vécue avec toute son intériorité lui a fait s'exclamer: "Joie, joie, pleurs de joie !"

    Je ne sais ce que vous voulez dire exactement quand vous écrivez : "C'est une affaire personnelle entre Dieu et soi-même en somme " Il n'y aurait pas d'intérêt à échanger entre croyants sur le sujet? Nous sentons bien que si, mais comment expliquer cela? Les disciples d'Emmaüs ont cru que Jésus était ressuscité en le reconnaissant à la fraction du pain et ont tout de suite fait demi-tour pour partager cette Bonne Nouvelle avec ceux qui étaient restés à Jérusalem.
    Marie Madeleine avait déjà dit que le tombeau était vide. Tous voient Jésus sauf Thomas? Puis lui aussi est témoin. Bref ils se transmettent tous la bonne nouvelle les uns aux autres d'abord. Puisque Evangile veut dire Bonne Nouvelle, ils s'évangélisent d'abord mutuellement. Une joie, ça se partage.
    Les chrétiens sont des amis de Jésus qui détiennent une bonne nouvelle pour l'humanité. Ils ont à se soutenir entre eux quand le doute les visite, puis à laisser voir qu'ils ont un "secret" qu'ils ne demandent qu'à partager.

    Bien sûr il y a une infinité de façon de croire. Cela me parait normal. Dieu est infini. Nous appréhendons chacun une façon originale de le "comprendre" (je ne sais trop quel mot choisir). Heureusement, elle n'est pas toujours unique et nous pouvons quand même communiquer entre nous !
    La foi n'est pas d'abord quelque chose de cérébral (je me demande si le pari de Pascal à conduit une seule personne à la conversion, même si le raisonnement semble imparable) . Elle concerne le cœur, l'espace intérieur en nous " capable de Dieu ".
    Pour nous réunir et ne pas trop bifurquer entre nous, nous avons un même attachement au Christ Vivant, et à sa Parole, Vivante aussi. C'est pourquoi, il est si important d'y revenir sans cesse.

    Bon après midi.
    Thérèse.

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  4. Le fait que nous ayons parfois des façons très différentes de vivre la foi est source de malentendus entre nous, ou même de conflits hélas, mais c'est aussi une richesse.
    Dieu étant infini et chacun de nous un être fini, limité, aucun de nous ne peut comprendre Dieu tout seul. Comprendre dans le sens de contenir, de saisir, de prendre. D'ailleurs Dieu étant infini, c'est impossible. On ne peut pas mettre la main sur lui. On ne peut que l'approcher.
    Nous avons besoin d'écouter. Ecouter la Parle, l'Esprit Saint, mais aussi l'autre (avec un petit "a") , notre prochain , notre compagnon de route. Si on parle de malentendu, c'est peut-être que nous avons vraiment m a l - e n t e n d u ? mal écouté ? Cela vaut la peine de se poser la question. Bien sûr, il est souhaitable que l'écoute soit réciproque. Facile à dire !
    Nous savons bien que nous avons besoin de l'aide de Dieu pour vivre notre foi !
    Thérèse.

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  5. Correction: écouter la Parole. Th.

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  6. Chère Thérèse,

    Un grand merci à vous, parce que vous me permettez d'étoffer mes pensées croyantes grâce à vos commentaires toujours très justes. Et ça me fait beaucoup de bien de penser à des sujets importants.

    Vous avez raison de souligner que la Vérité est une personne, le Christ et non une idée, un dogme. J’ai une fâcheuse tendance à l’oublier et d’idéaliser la vérité sans être vraiment sûre de ce qu’elle est.
    D’où le terme de « Vérité révélée » qui correspond à la révélation de l’identité de Jésus Christ.
    Quand je parle d’une foi de type 1 ou de type 2, je simplifie à outrance. Je veux plutôt dire qu’il y a une multiplicité de formes de fois correspondant non seulement à notre degré de maturité spirituelle mais aussi de notre histoire personnelle par laquelle on a été approché de Dieu. C’est pour cela que je parle « notre histoire personnelle entre nous et Dieu ».
    Quand on est dans la foi, on voudrait exprimer sa joie, raconter ses effets, témoigner comment elle nous est tombée dessus. La joie est contagieuse. Mais la Foi ne se transmet pas par la volonté humaine, même si le souhait du don-partage est grand. Il me semble donc que la Foi ne puisse pas s’enseigner (alors que les cours sur la foi foisonnent).
    Certes on peut créer des conditions favorables qui dépendent de chacun. Par exemple, moi, j’ai eu besoin de livres. Mais je conviens totalement que la plupart des autres personnes peuvent avoir besoin d’être dans des conditions bien différentes : vivre des temps forts en communauté, être séduits par des chants religieux, de belles liturgies (voir ce que propose le Père Zanotti-Sorkine https://www.youtube.com/watch?v=BnryjL8PQ3g ), …liste non exhaustive,..
    On sait que Pascal a vécu une conversion car comme tout le monde, il a vécu des moments difficiles, plusieurs deuils, sans oublier le Miracle de la Sainte Épine sur sa nièce :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_P%C3%A9rier
    Et puis il a vécu un moment mystique qu’il a rédigé dans son Mémorial « Joie, joie, pleurs de joie ! ».
    Aussi son attitude est très surprenante quand il invite les Libertins à sauver leurs âmes en tenant un pari gagnant sur l’existence de Dieu. Cela ressemble à de l’anti-foi, une foi qui ne serait inspirée que par l’intérêt personnel qui est aux antipodes de l’Amour.
    Il m’arrive parfois de rencontrer des personnes qui ont une foi très différente de la mienne. Je peux ressentir leur foi soit comme très naïve ou immature, ou trop conformiste-dogmatique, ou même excessivement pieuse et qui semble laisser de côté ce qui me semble être l’essentiel. Dans ce cas malgré tout le respect à l’égard de la personne, il semble très difficile de parler de foi, comme si on ne parlait pas de la même chose. Souvent, le plus simple est de se dire croyant, sans plus. Vous remarquerez qu’on demande rarement en milieu chrétien : mais en quel Dieu croyez vous (le Dieu d’Amour, le Dieu qui punit,…) ? Il suffit de s’accorder sur le Dieu de Jésus Christ.
    C’est frustrant de ne pas pouvoir faire comprendre la foi que l’on vit et que l’on ressent. Et écouter la parole de l’autre en se disant mais non ! Il n’a rien compris à la vérité du Christ, c’est contristant.
    Pour terminer, je me rappelle de cette remarque de Guy Coq : « La diversité des visages humains m’en dit long sur l’infinitude de la face de Dieu ». Diversité, multiplicité, infinité qui doit toujours nous ramener à une tolérance ouverte et bienveillante.

    Emylia

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  7. Chère Emylia,
    Pour ce matin, je me contenterai de cette réaction rapide à vos réflexions. Guy Coq dit, bien mieux que je n'ai su le faire, exactement ce que je voulais dire.
    La diversité des visages humains...Nous pouvons peut-être employer cette image: Dieu est comme un immense diamant brillant d'une multitude de feux. Chaque être humain est un reflet d'une face de cette splendeur et chaque croyant la fait briller sous un angle différent.
    Thérèse.

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  8. Bonjour Thérèse,

    Vous exprimez aussi admirablement cette diversité humaine et la métaphore du diamant brillant me fait penser à Dieu, similaire au diamant se trouvant au centre de la septième demeure de Ste Thérèse d'Avila dans son livre "le château intérieur" ou "le livre des demeures".

    Emylia

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