dimanche 5 juillet 2015

Sur le mal

J’ai assisté pendant deux jours à un séminaire sur le mal, tel qu’il est perçu par les philosophes. Je ne vais pas brosser un panorama complet de ce sujet qui par ailleurs a été très peu étudié en comparaison à d’autres sujets.
Les questions les plus intéressantes peuvent être énoncées dans les points suivants:
·       Quelle est la définition du mal ?
·       Le mal existe-il ?
·       Quelle est son origine ?
·       Dieu est-il responsable du mal ?
·       Peut-t’on s’en affranchir, le surmonter ?

Le mal s’identifie le plus souvent aux symptômes qu’il engendre. Le symptôme du mal est indiqué par la souffrance, la corruption du corps ou de l’esprit, la mort. La souffrance est une plaie ouverte dans la nuit. Elle déclenche en sa victime une forme d’hyper-sensibilité qui peut avoir deux types de conséquences opposées.

Dans un premier temps, elle engendre le plus souvent un renfermement sur soi-même, avec éventuellement un fort rétrécissement de l’horizon relationnel. C’est aussi le temps de la colère et de la révolte mais aussi de l’angoisse exacerbée. Dans ce cas, on parle de souffrance fermée comme une plaie qui macère et qui ne respire pas. Une souffrance qui ronge l’intérieur, parfois accompagnée de colère et de haine, comme un vers dans un fruit qui pourrit peu à peu l’être. Comment sortir de cette traversée de la nuit, de cet en-bas comme dirait Maurice Bellet. Dans ce cas, on parle de souffrance fermée. Il est probable que nul ne puisse échapper à cette situation d’enfermement. C’est peut-être l’occasion de s’arrêter un moment, de mieux faire connaissance avec soi-même, d’analyser notre propre réaction au cœur de l’épreuve. Car on s’explore rarement quand tout va bien. Au contraire, quand tout va bien, on a tendance à se jeter à corps perdu dans l’action. Comment avancer dans la nuit ? Il n’y a pas de chemin tout indiqué et la plupart des repères sont effacés. Je crois qu’il faut oser prendre un risque, mobiliser tout son courage, toutes ses ressources psychologiques et spirituelles intérieures, toutes ses dispositions  pour essayer de gravir peu à peu les parois escarpées de cet en-bas. Le chemin peut être long. Il est similaire à celui qu’il est recommandé d’emprunter pour un deuil.
Il faut tout d’abord affronter le déni. Ensuite surgit en soi colère et révolte. Il faut avoir l’audace de pousser un cri de révolte. La révolte ne saurait être escamotée. Elle fait partie du chemin. Pour remonter, surmonter, il faut laisser respirer la plaie, quitte à ouvrir la plaie au grand air. Est-il possible de trouver un échappatoire à sa douleur, probablement pas ? Puis vient la dépression qui s’installe dans le temps. Il faut en prendre conscience pour qu’elle ne s’installe pas trop longtemps et limiter ses ravages.

Dans un second temps, la réalité est acceptée, mais le passé n’est jamais oublié. Et puis lorsque que tout ce travail sur soi a été fait, le travail apporte ses fruits. La sublimation de la souffrance à laquelle sont parvenues Christiane Singer dans « derniers fragments d’un long voyage », mais aussi les longues traversées de la nuit de Lytta Basset. La sublimation passe par les larmes, par les mots prononcés en une auto-analyse, une présence bienveillante qui écoute, une attitude intérieure de consentement. Mais aussi une écoute sonore dans une solitude apaisée capable de percevoir le monde extérieur et intérieur.

Notre vie a quelque chose d’urgent qu’il faut prendre en main dès aujourd’hui. Ce serait absurde de procrastiner en repoussant à un moment ultérieur le travail qui est nécessaire dès maintenant. Le temps perdu ne se rattrape jamais.
Mais au fait qu’est ce que le mal ? On peut peut-être le considérer par rapport au bien. Le bien est ce qui convient à l’homme. Ce qui convient à l’homme est plutôt de l’ordre de la vertu et non du vice. Parce que le vice détruit la vie insidieusement. Les philosophes définissent le mal comme un manque de bien. Tout être humain est porteur de ce bien. Le mal est alors un manque de bien qui se traduit par un creux de bien dans cette plénitude de bien. Les épreuves de la vie contribuent à creuser cette plénitude de bien pour l’entamer sérieusement. Il faut veiller soigneusement à se réparer pour combler les ornières qui risquent de se transformer en trous béants et failles. L’être transpercé de part en part par des trous comme un gruyère  finit par devenir un néant.
Tant qu’il demeure de l’être dans un humain, il y a encore de l’espérance. Nul homme n’est déjà condamné pour l’éternité.

Le mal est un virus mutant qui se propage d’un être humain à un autre nous dit Maurice Bellet. Il appartient à chacun d’entre nous peut prendre ses responsabilités sanitaires pour réduire en lui, la quantité de mal qui le ronge par une hygiène de sainteté. Combler les creux de mal. Comment ?
La solution préconisée par le philosophe est la bonne action. Parce que les bonnes actions nous façonnent, nous reconstruisent, nous imprègnent, voire nous transforment. D’ailleurs nous sommes perméables à toutes nos actions. Les mauvaises creusent notre être tandis que les bonnes comblent nos creux et remplissent notre être de bien.

Quelle est l’origine du mal ? Les philosophes ne peuvent se prononcer car ils ne peuvent s’appuyer sur une doctrine de vérité révélée. Ils constatent que l’absence de bien existe dans le monde. Donc Dieu, le principe créateur du monde a permis que le mal existe. La raison logique explique qu’il ne peut pas exister un « meilleur des mondes possibles » dans lequel le mal serait absent. Il y a donc forcément une quantité de mal inévitablement injectée dans la création. Et cet argument est aussi donné dans le catéchisme de l’église catholique.
Pourquoi Dieu n’intervient-il pas dans les affaires humaines pour soulager les souffrances de la vie qui se rajoutent à la condition de mortel ? Probablement parce que nous avons à nous confronter avec ce mal qui fait partie de notre vie.

L’existence du mal dans la création est la garantie de notre liberté humaine de choisir entre réduire le mal dans la création en l’absorbant et en le transformant en bien, ou au contraire de le propager en l’augmentant en creusant toujours un peu plus notre être. L’espérance d’un monde meilleur repose sur notre liberté humaine, notre intelligence sur le monde et de la réalité et aussi notre volonté de choisir le bien contre le mal.

En relisant mes notes, je m’aperçois que la solution de l’amour est curieusement absente de la présentation. La solution de l’amour est cachée dans ce qui est préconisé dans l’action bonne. L’amour fait partie des thèmes embrassés par la philosophie. Probablement qu’il y aurait un chemin d’espoir à creuser de ce côté là… 

Emylia

3 commentaires:

  1. Bonjour Emylia,

    Merci de nous avoir invités à partager vos notes recueillies durant ce séminaire sur le mal. C'est un fait que les forces du mal semblent dominer en ce moment et il faut entretenir une bonne dose d'espérance pour ne pas se laisser emporter par le découragement voire pire ou la résignation.

    La meilleure façon de les combattre est, indiscutablement, la bonne action comme le soulignent vos notes. Non pas la simple BA, bien qu'elle ne soit pas à négliger, mais l'action bonne , juste, réfléchie, bien ciblée.
    Faire du bien fait reculer le mal car il est là à cause du vide laissé par le bien qui aurait dû être fait et qui ne l'a pas été.

    En effet, si le rôle de l''amour n'était pas vraiment souligné, je suis d'accord avec vous, il manquait à l'appel dans la liste des forces de bien à mettre en œuvre pour contrer avec suffisamment les forces du mal. L'amour c'est ce qui motive le mieux pour agir quand nous sommes tentés de baisser les bras, que ce soit dans nos vies privées ou collectivement.

    Je peine à penser qu'une certaine quantité de mal aurait été injectée dans la création. J'ai déjà entendu cette affirmation durant une conférence de carême donnée par un pasteur protestant à la radio.
    Dieu aurait créé aussi le mal ?Le mal, créature de Dieu? Je ne peux le croire car il EST l'amour, le bien. C'est sa nature même et rien de mauvais ne peut sortir de lui.
    Dans la Bible il est dit que Dieu aime chacune de ses créatures. Il aimerait donc le mal ? Impensable ! Qu'il ait permis le mal , c'est , il me semble constatable tous les jours, et ceci, c'est le respect de notre liberté -sans laquelle on ne peut aimer en vérité- qui l'exige, mais il n'est pas introduit dans le monde par Dieu. C'est le refus des hommes qui l'introduit. Restent les tremblements de terre, tsunamis etc... toutes les.catastrophes naturelles... non imputables à l'homme. Alors ???

    J'ai voulu lire "Le Dieu pervers" de M. Bellet, livre qu'il a écrit autrefois. Hélas, je ne l'ai pas trouvé car il est épuisé ou vendu, de ce fait sans doute, à des prix inabordables pour moi.

    Pour moi, un Dieu qui aurait créé le mal serait un Dieu pervers justement, et il cesserait de m'intéresser. Qu'on songe seulement à l'attitude que nous avons envers nos propres enfants.

    Je vais encore réfléchir à cet énorme problème et si je réussis à concevoir, ou à lire , une idée qui me semble un peu valable, je tâcherai de l'écrire ces jours-ci ou après les vacances. Problème ardu s'il en est et je suis sans doute prétentieuse d'essayer de me lancer, encore une fois, sur un terrain où bien des penseurs jettent l'éponge mais il me semble nécessaire de voir un peu clair pour croire au Dieu d'Amour qu'on dit aimer à notre tour.

    Merci de m'en donner une nouvelle occasion.
    Thérèse.


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  2. Bonjour Thérèse

    Il semble que l'on ne puisse pas affirmer que Dieu a créé le mal dans la création. Seulement il est un fait dont on constate l'existence.

    Ma compréhension du mal a évolué très rapidement depuis ce séminaire. Je compte partager la progression de mes reflexions et ce que j'ai de nouveau appris dans mon prochain article.

    Car je viens de lire un texte (qui s'adresse à des élèves de terminale) qui est vraiment remarquable et qui est compatible
    avec ce qu'en disent quelques philosophes contemporains qui ont travaillé sur cette question du mal après la Shoah
    et aussi compatible avec ce qu'en dit MB.

    En avant première : Non le mal n'est pas seulement une absence de bien ...

    Cela vaut vraiment le coup de réfléchir sur le thème du mal. La foi est très liée à cette pensée sur le mal.

    À très bientôt et au plaisir de vous lire quand vous pourrez.
    Et bonnes vacances avec tout de même pas trop de canicule excessive.


    Emylia

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  3. Je suis d'accord avec vous, Emylia, pour dire que le mal n'est pas seulement l'absence de bien. C'est bien plus compliqué que ça, en effet.

    Là où j'en suis de mes réflexions aujourd'hui, c'est que le mal est une " décréation,".Ce serait à développer bien sûr. La pensée de Teilhard de Chardin pourrait peut-être nous aider. Il avait une vue tellement ample !

    Je serai très heureuse de lire vos réflexions. C'est vrai que des philosophes ont repris le problème à bras le corps après la Shoah. Hans Jonas pas exemple dans "Le concept de Dieu après Auschwitz" un petit livre bien utile..

    ( Soit dit en passant, il y parle de Etty Hillesum mais sans donner son nom, si je me souviens bien. Il mentionne une jeune juive qui disait de Dieu : "il faut l'aider".)

    Bonnes vacances à vous aussi. Avec une météo clémente, oui, espérons.
    Je lis ces jours-ci l'encyclique du pape François."Laudato si" Je la recommande à tous.
    Bel été à tous.
    Thérèse..

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