Je vous fais partager mes commentaires aux sujet du paragraphe suivant que m'ont soumis les amis de Maurice Bellet. En effet nous avons l'occasion de nous rencontrer de temps en temps pour échanger sur un thème proposé.
Passé et
avenir
"Sans
discours fondateur, pas de vie humaine" Jean-Claude Guillebaud
"Il ne
suffit pas que l'homme soit né, il lui faut un chemin d'humanité" Maurice
Bellet
1) De quoi
sommes-nous héritiers ? Qu'est-ce qui demeure agissant, vivant en moi
dans mon propre passé, dans notre histoire collective ?
2) Qu'est-ce
qui ne doit pas se perdre mais devrait demeurer ? Qu'est-ce que je souhaite
dépasser ? Surmonter ? Changer ? Comment ? Par quelles voies ?
3) Qu'est-ce
que je souhaite transmettre ? Quelle trace je voudrais laisser ? Quel est le
monde que nous souhaiterions ? Quels changements souhaitons-nous ? Qu'est-ce
que je fais pour que cela change ?
Que chacun
prenne les questions qui le rejoignent, dans le déroulement qui lui convient.
Rien n'est imposé....
Bonne route
!
L'animateur de la discussion...
Je ne suis pas parvenue rapidement à commenter ce sujet. Cela
vient probablement des deux citations qui évoque l’homme en général. Celle de
Jean-Claude Guillebaud affirme la nécessité du passé qui s’exprime sous a forme
d’un discours fondateur. La phrase de Maurice Bellet évoque l’ouverture d’un
chemin d’humanité qui va vers l’avenir. Donc dans le sujet de ce jour, il me
semble qu’il faille établir un lien ou un pont entre le passé de l’humanité où
je n’étais pas et un futur ou je ne serai pas. Mais paradoxalement ce passé où
je n’étais pas et ce futur que je ne verrai pas m’aident à tracer mon propre
chemin. Sans eux, il n’y a aucun fil conducteur, aucune boussole et ma vie
serait absurde. C’est étonnant de réaliser que ma vie dépende aussi étroitement
de ce que l’humanité a été ou ce qu’elle sera en mon absence.
Mon premier héritage est d’abord le milieu familial qui m’a
accueillie à ma naissance. Chaque jour, je prends davantage conscience de la
chance que j’ai eue. J’ai pu avoir une enfance heureuse qui m’a aidée à tracer
ma voie d’adulte sans trop de difficultés. Mais pour m’en rendre compte, il m’a
fallu être sensibilisée au malheur qui frappe injustement autour de soi. Il ne
faut pas non plus croire que le malheur domine toujours. Le bonheur simple et
concret est présent et possible et à portée de main pour qui est suffisamment
attentif aux multiples opportunités de la vie.
Après la famille, l’école et les études et les différentes
formes d’éducations et formations m’ont beaucoup apporté. C’est la connaissance
donc la culture au sens large qui me relie à l’humanité du passé, sans laquelle
je ne serais jamais devenue la personne que je suis. Acquérir des compétences
est fondamental pour s’insérer dans la société et y tenir un rôle, même mineur.
C’est pourquoi le chômage est un véritable drame social, un déni d’humanité.
Et puis au delà du milieu familial, au delà des compétences,
il y a cette capacité à nouer des relations humaines, non théoriques, non
superficielles, mais réelles et profondes, lors de multiples occasions. Ce sont
ces relations qui ouvrent un large chemin à notre humanité pour nous conduire
vers notre avenir. Ces relations s’appuient sur un langage et des paroles qui
ne doivent pas tourner dans le vide. Il faut se prévenir de tout langage trop
normatif qui se fige en langue de bois. Les paroles de vie se donnent sous la
forme d’une écoute attentionnée et d’une réponse de l’ordre du don.
Une expérience émouvante et probablement indispensable est de
faire soi-même l’expérience d’ouvrir ce chemin d’humanité à autrui. Je pense d’abord
à mes propres enfants. Mais il est également possible de faire ce don à d’autres
personnes. C’est un peu comme si l’on comprenait ce que l’on était venu faire
sur cette terre : être soi-même une porte, un chemin d’humanité pour
quelqu’un d’autre. N’est-ce pas le rôle le plus élémentaire qui nous soit
réservé à chacun ?
Cette phrase n’est pas sans me rappeler que Jésus déclare
dans l’évangile de Jean : «Amen,
amen, je vous le dis: je suis la porte des brebis. »
Pour répondre à la première question sur l’héritage, je me
sens héritière d’une longue histoire collective qui plonge ses racines dans la
nuit des temps. De cette nuit profonde, émergent des mythes fondateurs (Bible
et autres récits) qui donnent à l’humanité ce dont elle a besoin pour
s’extraire du monde inerte et sans vie ou bien du monde animal). Et donc ce qui
me paraît essentiel de préserver est cette capacité relationnelle de
coopération, de connivence qui permet d’avancer collectivement avec confiance
vers avenir plus accueillant.
Pour répondre à la seconde question, il faut que je puisse
exprimer ce que j’ai peur de perdre, pas seulement pour moi mais aussi pour mes
enfants et l’humanité qui vient. Je crains que soit perdu toute l’attention
portée à l’humanité, tout ce que les mythes fondateurs portent en eux de vie
humaine pour des intérêts froids inhumains et barbare dans lesquels l’humain
serait un pur accessoire (ces vieux mythes considérés comme archaïques et
dépassés par une modernité prétentieuse seraient mis au rebut des vieilleries
inutiles). J’ai peur d’une humanité qui se fragmenterait en petits ilots
d’individualisme exacerbé, tous incapables de communiquer et de collaborer à un
avenir vivable. Il faudrait donc être capable de préserver toute forme de
relation humaine de nature horizontale et verticale qui permettrait cette
marche collective sur un chemin d’humanité partagé. Quel est l’obstacle le plus
difficile à surmonter ? Probablement la peur, la suspicion, la menace généralisée.
Et donc il faudrait retrouver la voie (et la voix) de la confiance.
Pour répondre à la troisième question, je crois que bien des
rêves et des illusions reposent sur le désir d’imprimer le souvenir de sa propre
personne dans la mémoire de l’humanité. Certains agissent pour le bien de tous,
d’autres pour le malheur d’un grand nombre de personnes, d’autres ne se
préoccupent que d’eux-mêmes. Je crois que cette obsession de laisser une trace
dans la mémoire collective est un asservissement à une illusion d’éternité
terrestre. Il me semble qu’il y a un moyen de se libérer de cette illusion d’éternité
est de s’affranchir de son égo, en se redéfinissant le moi
« haïssable » (selon B.Pascal), en un nous « humains »
collectif et intégrateur. Ce « nous » est le pronom que je retrouve
dans le prologue de l’évangile de Saint-Jean : « Il a habité parmi nous : et nous
avons vu Sa gloire pleine de grâce et de vérité,
qui est la gloire que le Fils Unique tient du Père ». L’essentiel est
probablement ailleurs que dans un nom écrit sur les pages d’un livre d’histoire
et rappelé à la mémoire des vivants. Je crois bien plus en ce que les vivants
portent en eux de confiance et de désir d’avenir pour eux-mêmes et pour
d’autres, en ayant essayé de leurs transmettre modestement, ce que j’avais
moi-même reçu en héritage, par les relations humaines consistantes dont je
parlais plus haut.
Et pour terminer, je ne prétends pas changer le monde. Je ne
peux que me transformer moi-même et entrainer avec moi d’autres personnes pour
emprunter le même chemin d’humanité que Maurice Bellet nous invite partager en
m’appuyant avec respect et gratitude sur les discours fondateurs humains qui
m’ont précédée.
Emylia
Pour ceux qui souhaiteraient poursuivre une réflexion sur ce sujet, je voudrais préciser que Maurice Bellet a publié en 1990 un livre 'Dire, ou la vérité improvisée" qui proposent une série de thèmes de ce type sur lesquels ont peut partager nos points de vue en groupe.
Pour ceux qui souhaiteraient poursuivre une réflexion sur ce sujet, je voudrais préciser que Maurice Bellet a publié en 1990 un livre 'Dire, ou la vérité improvisée" qui proposent une série de thèmes de ce type sur lesquels ont peut partager nos points de vue en groupe.
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Emylia