Il n’est pas nécessaire
de croire en Dieu, d’avoir une spiritualité, pour vivre des moments de grâce. Comment
reconnaît-on ces moments là ? On se sent un peu différent, comme si l’on
était saisi dans un état de bien être, d’émerveillement, comme transporté par
quelque chose qui nous dépasse. Ces biens étranges moments transitoires sont
difficiles à qualifier tant qu’on ignore leur origine. On ne saurait avoir qu’une
vague idée abstraite d’une possible transcendance. Mais on n’en sait rien. Ce
que l’on sait seulement, c’est que ces moments peuvent se produire à certaines
occasions et qu’on peut favoriser leur occurrence.
Si je fais un
retour en arrière sur mon passé, ce qui de façon récurrente me saisissais et
continue aujourd’hui encore à me prendre dans une émotion presque indicible,
c’est l’écoute de la musique, et surtout la musique classique. Adolescente,
j’avais voulu apprendre la guitare classique, instrument polyphonique à lui
tout seul par excellence. Au bout de quatre années, la lourdeur de mes études
m’avait poussée à abandonner alors que je devenais plus mélomane que jamais. Je
préférais me délecter dans l’écoute des concertos pour piano de Rachmaninov et
les symphonies de Gustave Mahler que je continue d’apprécier inlassablement
encore aujourd’hui. Du temps de ma jeunesse, mes gouts me portaient vers la
musique instrumentale, surtout symphonique de la fin du XIXème siècle et du
début du XXème siècle.
Ma propre histoire à
l’âge adulte m’a peu à peu éloignée de la pratique musicale et de l’art, pour
me rapprocher très étroitement de la science, c’est à dire pour pénétrer les
domaines de la connaissance du cosmos, en particulier celui de l’inerte (physique, astrophysique et cosmologie).
Oui il y avait peut
être un rêve de la connaissance des choses abstraites qui m’emportait tandis que
je laissais derrière moi mes sentiments et mes émotions. J’avais
délaissé » peu à peu le corps pour m’intéresser aux choses de
l’entendement donc de l’esprit et de l’intelligence au détriment du cœur.
Ce n’est que depuis
que la réalité du corps m’a rattrapée, que j’ai voulu rééquilibrer en moi la
dualité corps-esprit dans son intégralité, en pleine conscience.
Alors la musique a
repris de nouveau sa place dans ma vie, d’abord par une écoute transportée. Peu
à peu, je suis devenue de plus en plus sensible à la voix humaine,
particulièrement au travers de la musique sacrée.
Il y a trois ans,
alors que je retournais à la messe dominicale après trente ans d’absence, je
découvre que la messe dans ma paroisse de proximité est animée par une chorale
polyphonique au passé prestigieux (trois CD avaient été enregistrés dans le
passé). Je succombe subjuguée par la beauté et l’harmonie de ces chants
entonnés en cohérence par tous les choristes. Je rejoins de suite le groupe et
je découvre que les paroles des paroles m’interpellent et vibrent dans mon cœur,
autant que celles que je lis dans mes livres. Je revis ces moments de grâce
musicale que je connaissais, amplifiée par rapport à l’écoute de musique en
concerts, sur CD ou sur internet puisque je participais à la réalisation de
cette beauté éphémère et insaisissable. Notre chorale était dirigée par un
talentueux chef de chœur lui même amateur mais de formation d’excellence. Je
renoue avec les répétitions, la lecture du solfège. Mais pour moi, cette
pratique musicale là est totalement nouvelle. J’admire la motivation des
bénévoles à maintenir cette manifestation liturgique en dépit des autres
urgences de leur vie.
Puis l’année
passée, la présence du chef de chœur s’estompe. Sa situation professionnelle s’est
transformée de celle d’un enseignant en Science et Vie de la Terre à celle d’un
directeur d’établissement scolaire catholique.
Nous nous
retrouvons entre nous, choristes, avec notre pauvre et médiocre connaissance de
la musique et du chant à tenter de reprendre l’animation musicale de la messe.
Je me retrouve moi-même à devoir monter au pupitre et à l’ambon pour animer la
messe lors « mon tour de garde ». J’ai accepté de m’y coller malgré
mon incompétence caractérisée. « La chorale aide à la prière »
déclare une choriste.
Aujourd’hui se pose
la question de la survie de notre chorale. Elle passe forcément par ma
contribution renforcée à la direction de la chorale et par l’acceptation de
formations ciblée. Que dois-je faire ?
Or en ce moment je
me sens traversée par un profond désir de musique. J’écoute en boucle des
musiques vocales et certaines musiques de film dont l’histoire m’a énormément
touchée. J’aspire à apprendre à jouer du piano, non pas pour devenir virtuose,
mais pour éprouver le transport et la joie de l’humble interprète de mélodies composées
par d’autres musiciens. Je viens de me décider d’apprendre le clavier arrangeur
sur l’instrument offert à l’un de nos enfants. Cet arrangeur est demeuré
silencieux durant deux ans, car personne ne s’est plongé sur son fonctionnement
ni n’a tenté de l’apprendre. Mais je tends à penser que cet apprentissage n’est
pas si difficile que je le croyais.
Je suis étonnée de constater que ce désir de
création musicale se croise avec mon activité en péril de choriste. Je
m’interroge sur le fait que ma forte motivation à réapprendre la musique aussi
tardivement a un rapport avec un devoir moral ou spirituel de sauver une
chorale de messe de l’effondrement inéluctable. Une génération crée une œuvre
extraordinaire destinée à l’effacement en raison du retrait des générations
suivantes. C’est le mouvement de la vie. Qui sait si cette œuvre ne sera pas restaurée
dans quelques décennies. Qui impulse les motivations collectives créatrices de
l’humanité, même pour les plus modestes d’entre elles ?
Emylia
Ce qui est en cause est ce qu’il advient de l’être
humain, ce qui change en lui. L’œuvre première est que vienne en lui ce second
souffle qui lui donnera force et lumière pour créer son chemin. Cette puissance
neuve, il ne sait d’où elle vient ni où elle va, c’est pourquoi elle est sa
liberté. Il peut faire confiance à ce qui lui donne vie pour inventer sa vie.
Mais par quelles tâches ? Où sera l’action ? Le
choix proposé ici sera parfaitement discutable. Il correspond aux deux piliers
où l’être peut exercer ce qui l’inspire. Ce sera, sans doute, pour y pressentir
quelle mutation peut s’y faire – afin que les humains aient une demeure digne de
ce qu’ils sont. Ce sera donc l’art et la science. Ce n’est pas un choix
innocent. Il suggère que ce qui fait la valeur d’un être humain,
c’est ce qu’il donne. C’est ce qui sort de l’homme qui juge l’homme.
L’explosion de la religion (chapitre inspiration)
Maurice Bellet,
2014
Concerto pour piano N° 2 de Rachmaninov:
Concerto pour piano N° 2 de Rachmaninov:
Bonjour Emylia,
RépondreSupprimerJe viens seulement de lire votre dernier billet car j'ai été très prise ces derniers temps et vais l'être encore.
J'ai très envie de vous encourager à faire ce que vous pouvez pour maintenir votre chorale paroissiale. Chez nous, il y en a eu une très bonne que je regrette beaucoup. Notre paroisse est de moins en moins vivante et je pensais justement parler bientôt à notre ancien chef de chœur, une amie, et essayer de lui donner envie de reprendre la direction des chants pour redonner de la vie, et de la beauté surtout, à nos célébrations.
Avec la chorale d'une commune voisine, chorale laïque mais interprétant souvent des messes et chants du répertoire religieux, elle donne des concerts dans certaines villes de France, Concerts suivis .
Quel dommage que nos messes soient devenues si mornes avec de tels talents tout près! ! Il m'arrive de suivre des messes à la télévision célébrées sous d'autres latitudes. On y chante avec enthousiasme et joie, une joie communicative qui exprime la joie de croire. Un non-croyant qui assisterait à une messe dans notre paroisse pourrait penser certainement que nous ne croyons qu'à des vérités bien tristes. Pas de quoi attirer beaucoup! Je pense à cette phrase attribuée à Nietzsche: "Je croirai quand vous chanterez des chants meilleurs."
Puisque vous connaissez la musique, que vous l'aimez et avez envie de vous y remettre , vous avez là une occasion d'évangéliser sans discours mais en utilisant un de vos talents et d'être une pierre vivante au sein de l'Eglise pour lui donner plus de vie.
Vous serez très utile. Dans cette chorale qui fonctionnait bien, et qui n'est pas morte, il y a sans doute d'autres personnes douées qui peuvent travailler avec vous pour que tout ne repose pas sur vos épaules.
Bonne soirée et bonne chance.
Thérèse;
Bonsoir Thérèse,
RépondreSupprimerJe suis très heureuse d'avoir de vos nouvelles. Vous avez raison. Je trouve fascinant votre idée d'évangélisation sans discours. Dans cette forme d'évangélisation, il n'y a pas de "prise de pouvoir" par celui qui parle et qui a "l'autorité" de la parole.
Je ne suis pas seule heureusement. Il y a d'autres personnes de bonne volonté. La tâche est grande et nous devons nous la partager.
La semaine prochaine, je serai en formation "animateur de chorale" : histoire de me donner un peu plus d'assurance.
J'aime bien cette juste phrase de Nietzche : "Je croirai quand vous chanterez des chants meilleurs."
Je vous souhaite une bonne soirée en espérant que vous ne souffrez pas trop ou que vous n'êtes pas trop handicapée en ce moment.
À bientôt.
Emylia
Merci Emylia, très beau texte, très belle vérité! vraiment j'ai aimé vous lire et relire. J'ai beaucoup à dire....l'émerveillement dans la musique...dans tout ce qui a été créé dans l'amour de l'art. Dieu se fait tendresse dans toute cette beauté et elle nous touche au plus profond de nous même....de notre âme....
RépondreSupprimerJ'en parlerais toute la journée...tellement c'est beau! Merci
Mamou