Quoi que je sache d’une personne,
chacune d’entre elle garde en elle une part de mystère connu de Dieu seul. J’ai
beau croire connaître mes deux garçons, leur âme profonde me demeure absolument
impénétrable. J’ai pu longuement étudier avec les yeux de l’amour maternel,
leurs qualités et leurs défauts, leurs traits de caractères, leurs gouts, leur
sincérité ou cachoteries. Je peux prédire leurs réactions et leurs attitudes,
je ne percerai jamais ce qui anime leurs motivations ni ce qui les effraie.
J’ai beau essayer de comprendre ce que mes garçons tiennent de moi, ils
demeurent des personnes emportant avec elles leur part de mystère. Il faut
reconnaître que ne je suis pas leur créateur. Je les ai seulement et simplement
engendrés. Leur vie est passée par la mienne. Ils m’ont emprunté une partie de
moi-même et le reste vient d’ailleurs, de mon époux, de plus loin que moi dans
l’ascendance, plus loin que mes parents ou de mes grands-parents que j’ai connus
(trois sur quatre) et certainement puisent leur souffle dans une source
inconnue. Qui sont mes lointains aïeux ? Ces inconnus dont j’ai hérité biologiquement,
(psychologiquement ?), restent
encore un mystère à moi-même.
Je suis émue par cet album
familial remontant au début de la photographie, dont j’ai hérité il y a quelques
années. Une immense famille qui a traversé le terrible XXème siècle pour
aboutir aujourd’hui à seulement trois survivantes, moi-même et mes deux sœurs
et nos descendants.
Les photos sépia de ces personnes
sont rangées méticuleusement dans l’album, en individuel, en couple ou en
famille. D’un côté j’ai l’arbre généalogique qu’avaient reconstruit ma
grand-mère maternelle et ma mère. De l’autre côté, ces photos anonymes posant
dans une allure impeccable dans leurs habits du dimanche. Qui
étaient-ils ? Quelles furent leurs vies ? Quelles étaient leurs espérances ?
Que m’ont-ils transmis ? Si ce n’est leur visage anonyme et énigmatique ou
d’allure parfois curieusement triomphante, qui semblent me regarder d’outre
tombe. Durant mon enfance, j’ai appris de courtes histoires sur certains
d’entre eux, des héros presque
ordinaires du petit peuple parisien à leur manière. Au début du XX siècle, l’un
d’eux fut scaphandrier dans la Seine et a contribué à la construction
d’édifices comme des ponts. Il est mort asphyxié car ses collègues avaient
oublié de lui envoyer de l’air par le tuyau sous-marin. Un autre collectionnait
les médailles dont la légion d’honneur car il sauvait les gens de la noyade
dans la Seine. Un autre était joueur de polo à bicyclette. Il a disparu on ne
sait où. La première guerre mondiale a décimé toute ma famille de sept frères,
ne laissant que ma pauvre arrière grand-mère orpheline en pension, sans dote,
chez une marâtre comme dans Cendrillon. Mon arrière-grand-mère s’est libérée de
la servitude en devenant fleuriste à 17 ans, puis en épousant son patron qui
avait 20 ans de plus, à l’époque des années folles. Mon arrière grand-père avait
créé une entreprise de production de chapeaux fleuris pour les Dames du monde, qui
a du faire faillite probablement durant la crise économique des années 30. Mon
grand-père, ouvrier zingueur sur les toits de Paris est tombé plusieurs fois
des toits. Il est décédé du saturnisme au lendemain de la seconde guerre
mondiale, en période de profonde misère de l’après guerre.
Que de vies tragiques dont je ne
sais presque rien, mais dont nous portons des traces invisibles qui se révèlent
peut-être mystérieusement. Je suis émue parce que la mémoire de l’existence de
ces personnes s’arrête à moi et je n’ai pas eu le temps de conserver leur
histoire dans ma mémoire. Leurs visages sans nom me hantent parfois. J’ai le
sentiment qu’ils vivent encore au travers de ma mémoire et qu’ils disparaitront
définitivement avec moi. Ces vies et histoires individuelles s’en vont
rejoindre un passé révolu et oublié.
Cependant tout le mystère de ce
passé passe par moi pour se prolonger dans de nouveaux mystères incarnés dans
présent qui ne m’échappent complètement. C’est ça la vie ! Nous ne pouvons
rien contrôler et nous n’en sommes pas coupables. Tout est dans les mains de
Dieu, enveloppé d’un épais nuage d’inconnaissance. Et dans tout ça, je demeure
à moi même un mystère, je ne sais pas d’où je viens ni où je vais. D’un côté un
corps biologique dont l’histoire s’inscrit dans une longue lignée
d’engendrements, exprimant les lois déterministes de la nature. De l’autre une
mystérieuse âme éternelle, incarnée temporairement dans ce corps, ayant un
court laps de temps de vie terrestre pour se révéler à elle même et à Dieu et
aussi se relier à d’autres vies présentes, au souvenirs de personnes disparues
rencontrées ou non, à une présence évanescente mystérieuse.
Emylia
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