Sur ce blog qui
porte sur le thème de la foi vécue et expérimentée je dirais dans sa chair, il
est souvent mal vu que j’expose des connaissances, comme si ces dernières
étaient incompatibles avec la Foi. Pourtant je ne peux imaginer de passer sous
silence ma lecture compulsive du mois d’août qui n’a rien à voir avec la
religion mais qui il me semble m’interpelle fortement en tant que citoyenne
mais aussi en tant que chrétienne. Pourquoi, parce qu’étant chrétienne, je me
dois aussi d’être le témoin de notre temps, témoin pour bien comprendre le
Monde dans lequel je vis, pour agir et pour prier en connaissance de cause.
Bien sûr je sais bien que je ne vais pas transformer le monde, mais j’ai au
moins la possibilité d’agir sur moi-même, donc sur le Monde par ricochet.
Un livre, le
« Capital au XXI siècle », de Thomas Piketty, un jeune chercheur en
science sociales, est paru en 2014. Ce livre est devenu un bestseller et
l’auteur se voit attribuer de nombreux prix et obtient une renommée mondiale
(tant dans les milieux informés que le grand public). Je ne vais pas vous
assommer avec un résumé technique, mais je vais vous exprimer ma réaction
chrétienne à cette lecture.
Pourquoi ce livre a
un grand retentissement ? Parce que pour la première fois, une étude de
grande ampleur, sur la richesse des nations et des personnes, les revenus des
uns et des autres et la nature des injustices sociales est publiée pour tous,
avec des comparaisons détaillées entre les différents pays dits riches et aussi
avec une comparaison historique sur trois siècles. D’habitude, les économistes
et hommes politiques aiment à se quereller sur des théories économiques sans
mesurer la réalité de leurs impacts réels sur les hommes et la société. Mais
cette fois-ci le réel est enfin révélé et toute personne de bonne foi ne peut
nier l’évidence de ce vers quoi tend notre économie mondialisée.
Ce livre démontre
avec des faits numériques que le moteur des accumulations des biens génère inexorablement
et systématiquement des injustices sociales et donc de la pauvreté massive. On comprend
ainsi que nos sociétés ont toujours fabriqué de la pauvreté et des fortes inégalités
en masse que seules les terribles guerres mondiales mortifères ont pu
interrompre un temps cette fatalité et redistribuer temporairement un peu
d’égalité. Mais à quel prix de la vie humaines ces équités partielles et
temporaires ont été obtenues ?
Quotidiennement, nous
avons sous les yeux les résultats des progrès techniques considérables par
rapport aux sociétés du XVIII et XIXème siècle. Aujourd’hui, les capitaux
accumulés atteignent partout des sommes astronomiques, le plus souvent détenues
par un petit nombre de personnes privées. On retrouve partout des niveaux d’injustice sociale
dignes de la fin du XIX ème siècle et début de la 1ère guerre mondiale.
L’indigence des
états semble avoir été parfaitement orchestrée. Le déficit public des états
semble bien dérisoire en regard de ces montagnes de capitaux accumulés et
détenus par un petit nombre de personnes privées. Pourtant on continue de
menacer une large majorité de la population d’austérité et de rigueur, en la
privant de toute espérance et d’avenir. C’est la crise permanente et organisée de la laïcité
qui n’a plus de modèle de civilisation à proposer.
Comment alors pouvoir concevoir que la misère et l’injustice sociale existent à l’heure
actuelle dans nos pays riches, comme elle existait du temps de Victor Hugo
lorsqu’il a écrit « les misérables », avec la même intensité, malgré
les progrès techniques, culturels et soi-disant moraux. Ce constat est une
honte pour notre civilisation démocratique qui se prétend avancée, respectueuse
des droits de l’homme. Se complaire dans l’aveuglement devant les fortes
injustices sociales manifestes, c’est nier la réalité, éviter la prise de conscience. C'est une totale irresponsabilité. A fortiori une telle attitude me paraît
incompatible avec la foi chrétienne. Mais que faire ?
La situation est
claire. La démocratie promettait « un Royaume laïc » ou règnerait
progressivement l’égalité et la fraternité entre les personnes. Aucun royaume
laïc de ce genre n’est advenu. Certes les sciences et techniques ont progressé.
Mais la progression de la morale est douteuse. Qu’on se le dise : au terme
de trois siècles après celui des lumières, les promesses humanistes n’ont
jamais été tenues. Avec toute notre science, il nous semble impossible de
contrer cette évolution inexorable des injustices qui se nourrit de nos
égoïsmes individuels. Avec une civilisation mondialisée forte de 7 milliards de
personnes, il est évident qu’il faut trouver un autre paradigme économique sous la menace d’une conflagration généralisée très meurtrière qui pourrait nous faire
reculer de plusieurs siècles en arrière, avec
bien des vies sacrifiées pour rien (quelle serait l'ordre de grandeur de cette horreur, des milliards de vies).
On peut se demander
si du temps de Jésus, sous la domination de l’empire romain autoritaire de
nature aristocratique, les inégalités et les injustices n’étaient pas de la
même ampleur ou même probablement moindre qu’aujourd’hui. Jésus n’a jamais préconisé
la révolte des pauvres, mais la conversion du cœur des riches.
Dans « Les
actes des apôtres », une tentative de mise en commun des biens est
décrite, mais elle ne semble pas avoir connu de lendemains.
Pourtant l’église a
su faire fonctionner les monastères pendant des siècles, selon le principe du
partage des biens comme du travail, avec un fonctionnement souvent autarcique, avec la satisfaction des besoins élémentaires des moines et sans recherche de profits.
À la fin du XIX ème
siècle, le pape Léon XIII s’insurge contre les conditions de travail et de vie
imposées aux ouvriers dans son texte remarquable « Encyclique
rerum novarum », fondant ainsi
les bases de la doctrine
sociale de l’église.
A ce jour, l’église
n’a point été écoutée par le concert des nations. Plus que jamais, l’église à
la responsabilité ultime d’en appeler à la conscience de tous les hommes pour sauver
la civilisation mondiale de l’autodestruction inconsciente. Elle doit affirmer ouvertement
sa doctrine sociale avec force et à tous, gouvernés et gouvernants, sans
ménagement des susceptibilités idéologiques aveugles des uns ou des autres. Il
me semble que notre pape François ne mâche pas ses mots sur ce sujet dans son exhortation
apostolique Evangelii Gaudium (On peut lire
le livre très intéressant de Frédéric Lenoir, « François le printemps de
l’évangile » dans lequel des extraits très percutants de
« Evangelii Gaudium » sont sélectionnés). Il ne me semblerait pas incongru que l’église de
France intervienne plus souvent et directement dans les débats publics sur les
choix de société, notamment en exposant de façon audible ses positions
exprimées dans sa doctrine
sociale^*. Il ne me semblerait pas non plus inconvenant que certains hommes
ou femmes politiques se saisissent de ces textes pour étoffer leur propre
programme d’action. Il n’y a pas de honte à ce que le monde laïc s’inspire de
la morale chrétienne exprimée dans la doctrine sociale de l’église.
Emylia
^* Il me semble bien plus primordial de s'indigner des refus des droits élémentaires économiques et sociaux des gens que de se quereller sur des questions de moeurs qui ne sont même pas prescrits dans les Evangiles.
^* Il me semble bien plus primordial de s'indigner des refus des droits élémentaires économiques et sociaux des gens que de se quereller sur des questions de moeurs qui ne sont même pas prescrits dans les Evangiles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous pouvez librement exprimer votre commentaire, sous réserve qu'il soit respectueux de tous. Vous pouvez choisir contribuer anonymement, sans la contrainte de vous identifier, sans avoir à vous pré-enregistrer quelque part.
Si vous contribuez en tant que participant anonyme, n'oubliez pas de laisser votre pseudonyme dans le corps de votre commentaire. Attention de ne pas dépasser la limite de 4096 caractères pour votre commentaire. Consultez la page consacrée aux commentaires pour plus de précision. Avec mes remerciements.
Emylia