Sans croire à un destin
inéluctable, je pense que certaines rencontres nous sont prédestinées, des
rencontres humaines comme la rencontre décisive d’une mystérieuse présence qui
habite certaines personnes. Je ne veux pas affirmer que chacun d’entre nous puisse
percevoir une lumière qui brille dans la nuit ou entendre une parole
chaleureuse et aimante qui le fait dévier de la trajectoire de la vie.
Cependant, si nous sommes dans une disposition d’attente de quelque chose de
cet ordre, alors le bouleversement se produira.
Par mon expérience, j’ai tendance
à penser que ce type de rencontre se produit au terme d’une longue traversée
d’une nuit glacée de foi, ou à la suite d’un choc émotionnel et existentiel
intense, un effondrement des fondements de la vie que l’on croyait solides.
Quand cela se produit, il n’est
pas rare de revisiter le déroulement de notre vie, d’essayer de relier les
différentes étapes traversées, puis inopinément, toute cette séquence qui
apparaissait aléatoire, pour ne pas dire absurde, devient soudain cohérente et
limpide. Plus on réexamine, le passé, plus on le retravaille, non pas pour le
ressasser de manière obsédante mais pour se libérer de l’étreinte des tristesses,
plus on peut se préparer un avenir différent, en particulier pour ouvrir un
avenir harmonieux dans la foi et l’espérance. Dans ce travail que je qualifie
d’anamnèse, nous lâchons prise à nos enfermements, nous exhumons de l’oubli, nos
joies et nos grâces, pour ne garder que l’essentiel de notre historicité qui
nous a mené à la personne que nous sommes devenus présentement. En fait, nous
recomposons notre passé pour libérer notre avenir. Nous nous libérons de nos
contradictions pour nous unifier dans l’harmonie et la cohérence, en exaltant
notre identité singulière.
Ce qu’il arrive à titre
individuel peut se produire à l’échelle collective de tout un peuple au cours
de sa longue histoire. Je crois que c’est précisément le message que l’ancien
testament cherche à nous transmettre. La catastrophe pour le peuple hébreu est
la déportation massive à Babylone et la destruction du temple de Salomon. À
cette époque, l’écriture des livres spirituels-mémoriels explose. Ces écrits
ont pour objectif de stimuler une mémoire identitaire sur un fondement
spirituel très fort, avec le rappel récurrent des fautes passées qui ont mené à
la catastrophe et ils stimulent l’espérance opiniâtre du retour à la terre
promise. Ces écrits font un travail d’anamnèse qui reconstitue un passé qui ne
peut pas être rigoureusement le passé historique. Ce travail repose en partie
sur l’histoire du peuple, mêlée à des mythes et des symboles sacrés très forts.
Ce travail de mémoire sera décisif pour que l’identité juive survive à une
diaspora de 19 siècles.
J’en reviens toujours à mon affirmation
que le travail de la foi passe par un travail de mémoire duquel peut naitre l’espérance
qui nourrit cette foi. Les écrivains de la bible l’avaient compris. Les Pères
de l’église ont perpétué dans les messes le souvenir vivant du christ. Une vie
chrétienne ne peut s’inscrire que dans l’épaisseur temporelle de toute une vie.
Emylia