Récemment, j’ai assisté à une
réunion paroissiale sur le thème de « l’évangélisation-éclair de
rue ». Le principe consiste à aller spontanément à la rencontre d’inconnus
dans la rue pour pratiquer cette évangélisation, par exemple à l’occasion de
Noël. Les auteurs de cette curieuse apostrophe, ce pourrait être nous-mêmes,
des laïcs volontaires. Cependant, il n’est nullement question de se laisser
dicter par qui que ce soit d’extérieur, ce que nous devons faire. Nous devons
trouver en nous-même, avec l’inspiration de l’Esprit Saint, le sens de cette
action. Je ne sais pas si je vais le faire et si j’en aurai l’audace. Mais si
je le fais, je dois comprendre la motivation spirituelle qui m’anime. Je ne
rapporte pas ici le sentiment des différents participants mais seulement le
mien qui rejoint par plusieurs aspects les réflexions d’autres croyants.
Avoir l’impudence d’aborder de
son prochain pour lui parler de Jésus, sans le connaître, c’est prendre le
risque se faire remettre à sa place un peu brutalement. Il peut y avoir deux
raisons pour cela :
- La
première est que les gens perçoivent cette attitude comme une provocation.
Alors en retour nous risquons de déclencher inévitablement la colère et les
insultes. Malheureusement, les Chrétiens ont une longue habitude de ce genre de
réaction. Cependant, tant qu’il n’y pas de violence, on en est quitte pour une
épreuve d’humilité[1].
- L’autre
raison est la crainte. Pourquoi ? Parce que cette attitude d’évangélisation
en temps de déchristianisation de la société est surprenante et inhabituelle et
à contre-courant. En effet, il y a fort à craindre d’une intention néfaste de
la part de l’évangélisateur, comme une tentative d’embrigadement sectaire d’une
victime à son détriment. Il faut donc être capable de rassurer la personne
abordée par rapport à nos intentions : « l’Église considérée comme
l’ecclésia des croyants n’est pas une secte car elle respecte trop la liberté
humaine qui imprègne les évangiles. Moralement, elle ne peut garder secrète pour
ses seuls adeptes initiés, la joie qui l’anime ».
En l’absence de rejet instinctif, ou bien une fois les
craintes levées, alors nous devons poser concrètement le sujet. Mais que dire
ensuite ? Je ne m’imaginerais pas avoir la prétention de délivrer un
enseignement de catéchèse ou d’affirmer magistralement une parole doctrinale
qui placerait l’orateur fort de son savoir au dessus de son interlocuteur. Je
tenterais plutôt une attitude d’humilité suggérant la possibilité d’un bonheur
et d’une grâce dans sa vie (mais je n’utiliserais pas ce mot trop religieux).
Une autre possibilité serait de suggérer une réflexion sur le dysfonctionnement
de notre société au regard du bien-être humain et de l’intérêt commun et aussi
des personnes. Dans ce cas il serait facile d’évoquer l’existence de la
doctrine sociale de l’église (qui a peut être existé avant que les idéologies
politiques ne s’emparent de la question sociale ?).
Arrivée à ce stade, je ferais très
attention à percevoir si la personne souhaite s’exprimer sur elle-même, sur le
sujet, ou bien si elle préfère que nous poursuivions notre parole. En effet il
est possible de réveiller chez la personne le désir d’être écoutée et donc d'être reconnue dans sa dignité de personne humaine par une personne aussi illustre
que le Christ : « Il vous écoute, parce que vous comptez beaucoup
pour lui. Vos tourments ne lui sont pas indifférents. » Dans ce cas, le
contact divin a eu lieu et l’évangélisation s’est réalisée.
Si par contre nous devons poursuivre la conversation, alors je ne vois que l'évocation brève en forme de témoignage sincère de notre expérience personnelle de foi et de conversion. L’écoute passive même muette de la
part de l’interlocuteur est elle aussi un gage de contact divin, même s’il ne
porte pas nécessairement à une conséquence immédiate. En effet, il faut
beaucoup de temps pour que se développe en soi une maturité spirituelle.
L’acte d’évangélisation, même
très bref et limité, quelles qu’en soient les conséquences, des insultes au
contact réel humain et spirituel, constitue une véritable expérience
spirituelle personnelle ineffable, capable d’induire des transformations substantielles
chez son auteur.
[1]Dans ce
cas je pense à la définition de la Joie parfaite de Saint François d’Assise:
« Au dessus de toutes les grâces et dons de l’Esprit Saint, que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même, et de supporter pour l’amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités, car de tous les autres dons de Dieu, nous ne pouvons nous glorifier, puisqu’ils ne viennent pas de nous mais de Dieu. »
« Au dessus de toutes les grâces et dons de l’Esprit Saint, que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même, et de supporter pour l’amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités, car de tous les autres dons de Dieu, nous ne pouvons nous glorifier, puisqu’ils ne viennent pas de nous mais de Dieu. »