Avec les quelques
échanges que nous avons eu la semaine dernière et ce que je vis en ce moment,
j’ai eu besoin de me replonger dans l’histoire de Job. Je n’ai pas eu ni le
temps ni le courage de me replonger dans le livre de la bible, long de 42
chapitres. Alors j’ai lu sa synthèse et son commentaire dans la « Bible de
Lucile » de Pierre Marie Beaude. Ce livre de Job tout comme celui de « l’Ecclésiaste »
son classés parmi les écrits de sagesse
de la Bible. Il n’en demeure pas moins que leur interprétation et la conclusion
que l’on pourrait en tirer est loin d’être évidente ou parfois confuse.
Le récit du « Livre
de Job » est celle d’un riche juste, droit, très pieux et « craignant
Dieu » qui a été largement comblé de dons par Dieu, qui un jour, sans
raison compréhensible se retrouve privé de tous ses biens dans une succession d‘événements
traumatisants. Dans les biens, on considère le bétail, les serviteurs, les
enfants et aussi la santé. Ce sont les signes extérieurs apparents de réussite
sociale de l’époque patriarcale. Étonnamment, la femme de Job ne semble pas
être incluse dans la liste des biens. Elle n’a pas de nom contrairement à
l’ensemble des protagonistes de l’histoire. Elle n’est donc pas une personne.
Elle est en « off » ou en filigrane. Comme si elle n’existait pas,
comme si l’histoire de son époux n’était pas aussi son histoire. Comme si elle
n’était pas concernée par la perte de ses enfants.
Elle est pourtant
dans l’histoire pour suggérer à Job de maudire Dieu, puis de mourir et c’est
tout. Il n’est pas sûr qu’elle représente Satan qui incite Job à pécher. Peut
être que personnage presque désincarné permet à Job d’affirmer qu’il accepte stoïquement
la déchéance. S’il se refuse à blasphémer, il ne manque pas de maudire le jour
de sa naissance et souhaite la mort. C’est étrange, mais chrétiennement
parlant, il me semble que maudire sa naissance revient à blasphémer l’œuvre de
Dieu.
Quand ses
soi-disant amis viennent le voir pour partager sa peine, ces derniers essayent
d’insinuer que pour subir un tel châtiment, Job a dû commettre quelques péchés.
N’est-il pas de notoriété publique que Dieu punit les méchants et non les
justes ?
Alors Job
explose ! Non il n’a jamais offensé Dieu et il ne comprend pas cette
avalanche de malheurs qui s’abattent sur lui. Il crie sa protestation
ouvertement.
Ensuite, un petit
jeune « arrogant », bien instruit en matière de religion, qui croit
en savoir plus que tous les autres plus âgés que lui (donc pourtant forts d’une
certaine expérience de la vie), se permet d’administrer à Job une leçon
magistrale de morale affirmant que Dieu ne se trompe jamais et que par
conséquent Job est bien prétentieux et qu’il ne peut que mériter son châtiment.
De nouveau, Job
refuse d’endosser la moindre culpabilité et il s’accorde le droit d’affirmer son
indignation, et son incompréhension quant aux causes premières de sa
souffrance.
Dieu prend
finalement la parole, non pas pour justifier la souffrance de Job, mais pour
rappeler sa toute puissance, son rôle éminent dans la création et le
fonctionnement du monde et de l’insignifiance de Job en comparaison de
l’immensité et de l’importance du monde.
N’en déplaise aux
doloristes, Dieu ne légitime pas la souffrance dans l’histoire de Job. Elle est
tout simplement injustifiable. Dieu ne répond pas directement aux
récriminations de Job. Il répond par un geste symbolique et énigmatique, en
rétablissant sa santé et ses biens, lui donnant à nouveaux dix enfants, avec
140 années de vie en prime.
Donc la souffrance
ne sert à rien. On peut retenir que les amis de Job et le jeune arrogant ont
tort de soutenir que la culpabilité humaine viendrait expliquer à la raison
humaine l’injustifiable. Cela met aussi du plomb dans l’aile du péché originel
qui était bien pratique pour l’Église pour légitimer le malheur terrestre des
hommes.
Il faudrait aussi
retenir une phrase importante du jeune arrogant qui n’est en aucun cas une
justification de la souffrance : « Dieu sauve le malheureux par son
malheur, par sa détresse, il lui ouvre l’oreille ».
Donc il n’y a rien
de bon à tirer de la souffrance, si ce n’est qu’une plus grande sensibilité et
une ouverture du cœur vers autrui. Mais cette ouverture du cœur n’est pas toujours
la conséquence du malheur. Ce dernier conduit très souvent au renfermement sur
soi-même et la fermeture et l’endurcissement du cœur.
En tout cas, il est
bien difficile de partager la souffrance de ses amis, a fortiori quand on n’a
pas vécu une souffrance similaire. Les mots comme les théories théologiques ou
autres discours convenus de circonstance sont impuissants à combler la détresse
engendrée par le malheur. Probablement le silence et la présence sont la seule
façon appropriée de respecter les personnes en peine.
On reste sur sa
faim avec cette histoire de Job de la bible. On ne sait pas trop quoi en tirer.
Alors Pierre-Marie Beaude dans le personnage de Lucile raconte une extension de ce
récit d'après le livre de « la femme de Job » d’Andrée Chedid que je
trouve particulièrement chrétienne.
Dans les histoires
bibliques, les femmes sont souvent des personnages insignifiants qui font
partie du décor. Elles ont rarement un rôle de premier plan comme dans toute
société patriarcale. On ne s’intéresse
rarement à ce qu’elles disent ou ce qu’elles pensent, encore moins à leurs
souffrances. On note pourtant leur présence à leur départ de la scène. La femme
de Job a veillé en silence sur son époux bien aimé, tout au long de sa vie, en
toute humilité, comme une servante. Un jour arrive au soir de sa vie, où c’est
elle qui tombe gravement malade, d’une forte douleur dans la poitrine. Job se
porte à son secours. Il lui déclare « il n’y a pas d’explication !
toi, que mon cœur aime. Il n’y a pas de clé dans la souffrance !».
Mais si ! la
clé était là : c’était l’amour que l’on découvre quand il s’en va !
Job se décentre enfin de lui-même et de ses malheurs pour découvrir enfin que l’amour était la clé
des histoires de souffrance (je n’ai pas dis la solution). Il n’a plus le temps
de creuser la question. Il est trop tard.
Emylia
Je n’ai pas encore lu
le livre d’André Chedid, mais à la lecture des quelques extraits sur le web, je
me suis empressée d’acheter une version d’occasion.