Nous sommes un
petit groupe de personnes. Nous ne nous connaissions pas antérieurement. Notre
seul point commun est que nous nous intéressons aux écrits de Maurice Bellet.
Nous nous rencontrons de temps en temps pour réaliser un cheminement personnel
en commun. Selon de vagues suggestions de pistes de réflexion, sans indications
précises de direction, nous sommes invités à échanger des paroles sur des
points qui nous paraissent essentiels pour chacun. La liberté de parole, le
respect et le non jugement sont les clés de ces entretiens. En aucun cas il ne
s’agit de parler de sa propre vie privée qui n’a pas à être dévoilée. Il s’agit
plutôt de découvrir au cours de l’expression sa propre parole, son intériorité
que l’on a rarement l’occasion d’exhumer, surtout à ses proches, peut être
quelques rares fois, à ses meilleurs amis et encore dans des circonstances
exceptionnelles. Nous découvrons alors, qu’en dépit des différences de parcours
de notre vie, il réside en nous ce fond commun d’humanité qui se révèle à
l’exposition de notre propre expérience intérieure de vie. Chacun porte en lui
ses profondes blessures, ses peurs mais
aussi ses joies. Sans avoir à préciser leur origine ou leur nature, il est
possible d’évoquer les prises de conscience et les évolutions spirituelles
auxquelles elles nous ont menées.
Chaque séance
augmentait progressivement en intensité et en profondeur. La dernière fois que je
me suis exprimée, j’ai évoqué le cas de mon propre cancer qui avait été pour
moi l’occasion de ma prise de conscience de l’amour reçu, que cet amour reçu
m’avais permis de tenir, de vivre une croissance post-traumatique et d’expérimenter
une conversion spirituelle. De nos tristes jours, il est impossible de réunir
un petit groupe d’adultes dans que quelques-uns aient déjà eu affaire au
cancer. Dans notre cas, une autre personne avait vécu une expérience similaire
à la mienne, et Monique, notre modératrice était en train de vivre ce
cauchemar. Nos paroles avaient été tellement sincères et profondes, qu’au terme de
notre rencontre, Monique nous avait remerciées pour nos témoignages.
Contre toute
attente, nous venons d’apprendre deux mois après notre dernière rencontre, que
Monique vient d’être emportée brutalement par cette impitoyable maladie qui
s’était sournoisement diffusée dans son organisme. Je pense à mes dernières
paroles et je m’interroge sur leur poids dans les derniers jours de détresse
vécus par Monique à notre insu. Fallait-il témoigner de sa propre vérité ?
En quoi exprimer sa vérité peut aider autrui à vivre ses moments les plus
difficiles ? N’aurait-il pas été préférable de se taire ? De
maintenir nos échanges à un niveau superficiel et convenu ? N’y a t’il pas
une prétention vaniteuse ou une pure inconscience coupable à exposer la vérité
subjective de sa propre histoire ?
Mais si je n’avais
rien dit, n’aurais-je pas eu une attitude lâche ou égoïste, en ne partageant
pas ce que j’avais véritablement reçu ? N’aurais-je pas regretté ultérieurement
mon silence avare ?
Je mesure l’immense
responsabilité que chacun porte de dire ou de garder pour soi, sa propre
vérité. Intuitivement il me semble pourtant qu’il valait mieux le dire. Sur le
moment, ces témoignages avaient apporté beaucoup à Monique. Peut-être que dans
mon passé je regrette de ne pas avoir tenu un langage de vérité et sincérité à
l’occasion de moments essentiels et uniques. J’en étais incapable. Il a fallu
que quelque chose change en moi pour que j’arrive à m’exprimer.
Emylia