Le chapelet est un médium, un véhicule ; c’est
la prière mise à la portée de tous.
Journaux intimes
C. Baudelaire
Journaux intimes
C. Baudelaire
Il faut
dire son chapelet quand on ne dort pas et ne pas ajouter la nuit
Au jour à
qui sa propre malice suffit
L’otage,
Paul Claudel
J’ai appris le « Notre
Père », dans ma jeunesse, il y a bien longtemps, comme on apprend une
récitation à l’école. Quand je le récitais, je le déclamais automatiquement,
comme un poème, devant une maitresse d’école. Ce n’est que récemment que je me
suis mise à le réciter très lentement, en pensant intensément à chaque vers, le
sens qui en émane, le rapport intime qu’il noue avec ma vie. À chaque fois que
je prononce intérieurement cette prière, j’essaye de veiller à la penser sans
m’en dissimuler le sens du cœur, sinon je dois recommencer. Pourtant parfois la
pensée s’évade, laissant les mots glisser tous seuls, les uns derrière les
autres automatiquement. Quelle faute impardonnable alors. Il faut que je me
reprenne pour obtenir miséricorde. Et parfois, de ratage en dissipation de
l’attention, c’est le temps imparti pour la prière qui vient à me manquer.
Aussi jusqu’à présent, j’ai toujours
eu du mal à me résoudre au chapelet. Non, je ne parviendrai probablement jamais
à garder toute mon attention pendant tout le temps d’un chapelet. Que vous
dire ! Un jour, j’ai voulu consulter un prêtre qui avait gentiment accepté
de me recevoir. Lorsque j’entrais dans son presbytère, j’étais sur le point
d’aller lui serrer les mains, comme on se donne la paix à la messe, quand je
m’aperçus qu’il avait les mains entravées par un énorme rosaire. Je restais
interdite et un peu effrayée. Non seulement ce rosaire me semblait être un
obstacle à notre entrevue humainement chrétienne et qu’en plus il représentait pour
moi un symbole d’entrave, de privation de liberté, comme une chaine de
prisonnier. Depuis, je n’ai donc
toujours pas réussi à me réconcilier avec le chapelet.
Je n’ignore nullement l’importance que l’on accorde usuellement au
chapelet et au rosaire. Mais pour moi, je suis autant gênée par la pratique que
par le symbole que j’ai évoqué. Mon chapelet à moi est un chapelet d’encre
noire, comme pour Christian Bobin :
« À quoi ça sert de lire. À
rien ou presque. C'est comme aimer, comme jouer. C'est comme prier. Les livres
sont des chapelets d'encre noire, chaque grain roulant entre les doigts, mot
après mot. Et c'est quoi, au juste, prier. C'est faire silence. C'est
s'éloigner de soi dans le silence. »
(Une petite robe de fête, Christian Bobin). Il y a tellement d’autres manières de prier !
(Une petite robe de fête, Christian Bobin). Il y a tellement d’autres manières de prier !
Emylia